Langues autochtones et sonorités du Québec: Fête de l’amitié autochtone (et Pow Wow):

par   Alain Lavallée

Pow Wow de Wendake: 25-27 juillet

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(N.B.:toutes les photos sont de Carole Lafond-Lavallée, celles du pow wow de Wendake sont à la fin)

Fête de l’Amitié autochtone: 

Anionwentsaen, 17 juillet, 400e Québec

Pendant que les spectateurs de la Grande Place entonnaient avec cœur le refrain d’une chanson de Kashtin,  Claude McKenzie à la fois heureux et  surpris s’est exclamé tout en continuant à jouer de la guitare et en écoutant la foule chanter: « Calvâsse, j’avais 20 ans… C’est de l’Indien que vous chantez là ».  Claude McKenzie (photo)  réalisait que sa musique, sa chanson innue (Tipatshimun, la chanson du diable) étaient entrées dans le patrimoine québécois. Il en était visiblement très heureux et très fier.

(voici un des premiers vidéos de Claude McKenzie et son complice Florent Vollant, alors qu’ils formaient Kashtin, une chanson en innu, E Uassiuian  (mon enfance)   http://www.youtube.com/watch?v=DK3hOAyIn8c
Au cours de la semaine du 15 juillet, quelque 300 représentants des peuples autochtones du Canada ont participé à Québec à une Assemblée des Premières Nations du Canada.  Le 17 juillet, un bon nombre d’entre eux ont participé à une marche symbolique destinée à souligner « la contribution marquante des Premières Nations à l’histoire de Québec, du Québec et du Canada. »  Suite à cette marche, tous étaient conviés à la Fête de l’Amitié à l’Espace du 400e. La nation Huronne-Wendat ayant été désignée nation hôte, elle a profité de cette occasion pour inviter les représentants des dix autres nations autochtones du Québec à une fête de l’amitié:  Micmacs, Abénaquis, Malécites-Etchemins, Cris, Naskapis, Iroquois-Mohawk, Algonquins, Attikameks, Inuits, Innus y ont présenté chacun au moins un de leurs artistes. La fête avait débuté à 15 heures à la Grande Place. Québécois et touristes étaient bien entendu conviés à y participer  (la liste complète des artistes est présentée à la toute fin de ce billet).

Il y avait des conteurs, tels Stéphane Jeannotte (humoriste micmac) ou encore Dave Jenniss (Malécite) qui nous a rappelé qu’à l’origine son peuple vivait sur les rives du fleuve St-Jean à la frontière du Nouveau-Brunswick et Maine actuel, mais qu’ils venaient aussi faire la traite à Tadoussac, (ils y étaient d’ailleurs au printemps 1603, et ont accueilli une représentation diplomatique de France avec qui ils ont fait alliance, François DuPont Gravé et Samuel Champlain faisaient partie de la représentation diplomatique de France). La violoniste Mohawk-Iroquoise Tara Louise Montour a aussi fait une prestation. Les Inuits Akinisie Sivuarapik ont présenté des chants de gorge. Ces chants qui il y a quelques années encore paraissaient exotiques, presque étrangers, ont depuis séduit les Québécois. Ils deviennent de plus en plus familiers. (Comme l’ont montré les prestations du groupe Igloo Lounge dans le cadre de l’événement Domagaya qui se tenait sur le site du Bassin Louise au cours des dix derniers jours de juin).

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Bryan André  (photo), chante en innu et français, il nous a raconté ses expériences. Il fait la tournée des écoles et des communautés innues pour parler de « l’autre chemin ». André dit aux jeunes des communautés amérindiennes qu’ils ont un avenir. C’est ce qu’il exprime dans sa chanson « Tshismeshkaminnu ». «Si vous savez d’où vous venez, il vous sera plus facile de trouver où aller«. Il a d’ailleurs chanté cette chanson avec beaucoup d’émotion à l’occasion de cette fête de l’amitié.

http://www.youtube.com/watch?v=k1WDRsg0cFs

sakay-ottawa-400e.1216998278.jpg Sakay Ottawa (photo), un Attikamek de Manouane nous a chanté « D’où je viens » en langue attikamèke. Il nous a raconté l’histoire de Manouane. Il nous a aussi dit que son peuple (vivant principalement en Haute Mauricie et au nord de Lanaudière) est chanceux puisque près de 95% des 6000 Attikameks peuvent s’exprimer dans leur langue maternelle. Sakay nous a aussi parlé de l’urgence et l’importance pour sa culture de transmettre la mémoire collective des origines.
(vidéo Ni ka Toten de Sakay Ottawa

http://www.youtube.com/watch?v=-DUuiPxeEZ4

Arthur Petiquay, Attikamek de Weymentachie nous a parlé de l’enfant, ce «petit être de lumière» et nous a chanté l’histoire d’un jeune enfant abusé sexuellement.

En un certain sens, André et les artistes des peuples autochtones indiquaient aussi la voie aux gens de la Société du 400e: en faisant des activités qui indiquent aux jeunes Québécois d’où ils viennent, cela leur permet d’être fier, de faire face à l’avenir et de trouver où aller. Avec cette fête de l’amitié, la nation huronne-wendat montrait à la capitale nationale qu’est Québec que pour le 400e, il aurait été normal qu’elle puisse convier toutes les régions de la nation québécoise à une fête de l’amitié partagée (cela faisait partie des projets du ministre Couillard lorsqu’il était ministre responsable de la Capitale nationale, mais ses projets ont été contrecarrés, et il a démissionné).

Musiques autochtones et « sonorités du levant »

En écoutant les musiques des artistes inuits, innus, attikameks, hurons-wendats, etc. qui chantent et sonorisent la culture de leur contrée, qui enrichissent les musiques du monde, je me suis rappelé ce mot de la chanteuse étatsunienne Janis Joplin.  À l’été 1970, elle a participé au Festival Express, un festival itinérant qui le 24 juin était passé par Montréal.  Les artistes du festival se déplaçaient en train d’une ville à l’autre.  Janis Joplin avait côtoyé Robert Charlebois et son violoneux  Philippe Gagnon et les avait entendus jouer. Elle leur avait dit que s’il existait en Amérique un « western sound », une sonorité musicale typique de l’ouest de l’Amérique, eux ils représentaient un « eastern sound », une sonorité musicale de l’est du continent.

Cette sonorité musicale particulière que nous avons entendu lors de la fête de l’amitié entre autres, nous aimerions la qualifier de « sonorités du levant », puisque les peuples autochtones de l’Est de l’ Amérique sont des « peuples du levant », du lever du soleil sur les grandes eaux. Il faut bien entendu souligner le travail remarquable du guitariste Gilles Sioui, (Huron-Wendat de Wendake, photo ci-dessous) qui a accompagné tous les musiciens en cette journée de la Fête de l’amitié. Il paraît jouer le rôle d’un véritable mentor, un guide pour les artistes plus jeunes. (Il semble que le nom Sioui, signifie en huron-wendat « soleil levant »).

Langues et relation au monde :

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec ces artistes, chanteurs, conteurs innus, malécites, attikameks, etc. au sujet de l’importance pour un peuple et ses communautés de partager une langue commune, de partager une mémoire collective, de se remémorer d’où ils viennent. Les langues sont beaucoup plus qu’un outil que l’on pourrait changer comme on change de chemise ou d’outil. (Les récentes excuses du gouvernement canadien (juin 2008) au sujet des pensionnats témoignent entre autres de l’importance de la langue dans la constitution de la culture en général, et dans ce cas-là des cultures autochtones.)

La langue construit la relation au monde, la manière de penser le monde. Par exemple dans la langue algonquienne, il n’y a pas de mot pour attribuer la possession directe («mon, ma, mes»). Un canot n’est pas « mon » canot. Il est un assemblage d’éléments naturels-culturels qui sont et font encore partie de la nature. Comme si celui qui parle cette langue ne pouvait s’approprier ni le canot, ni la nature. L’humain participe de la nature.

Autre exemple, dans la langue algonquienne, il n’y a pas de conditionnel, pas de « si » et de scénarios. Il n’y a qu’une réalité. Dans cette réalité, dans cette nature (qui comprend les esprits, la culture) il y a des Anish nabé, des « êtres véritables », des humains, des Algonquins qui participent de la vie du monde et à la vie du monde, qui participent de et à son équilibre.( à noter que les mots  « Inuit » et « Innu »…ont aussi des signification semblable, dans leur langue respective ils signifient « êtres humains, êtres véritables, êtres complets, etc. »).

Un dernier exemple très éloquent du comment une langue construit la relation au monde, comment elle influence la manière de penser le monde est celui bien connu, celui de la langue amérindienne « bororo ». Dans cette langue, il n’y a que quatre mots désignant les quantités: « un », « deux », « quelques-uns » et « plusieurs » (l’individu, l’accouplement, la famille, les êtres).  Pensez-vous vraiment qu’une culture bororo aurait pu inventer les comptabilités, les calculs de coûts réalisés dans les économies actuelles? Pensez-vous qu’une culture bororo pouvait inventer une compétitivité basée sur la profitabilité d’une transaction? Les cultures de l’oralité nous parlaient de réciprocité: je te donne, tu me donnes.

Ces quelques exemples montrent pourquoi, la langue n’est pas un simple outil que l’on pourrait changer sans qu’il y ait des conséquences irrémédiables pour la culture. Une langue participe à la conception et la construction du monde. Par exemple, la langue française est plus précise que la langue anglaise, cette dernière étant plus approximative. C’est pourquoi habituellement un texte de 10 pages en français pourrait ne compter que 8 ou 9 pages en anglais. En ce sens, le français est utile pour dire la complexité actuelle du monde. L’anglicisation au nom d’une pseudo-langue globale (anglobalisation) n’est pas un progrès, ni une solution à la complexité du monde. Au contraire c’est une réduction de la diversité du monde, de la diversité des manières de penser.

Des langues qui meurent c’est une perte pour l’humanité, plus grande peut-être que la perte d’une espèce de poisson, ou d’une espèce de plante. C’est une réduction de la complexité, la perte de possibilités de voir émerger des penseurs, des conteurs, des philosophes, des gestionnaires, des ingénieurs qui peuvent éclairer différemment notre relation au monde (et peut-être apporter des solutions originales aux crises actuelles découlant de la mondialisation).  Il est important de parler sa langue maternelle (à moins qu’elle ne soit déjà disparue), à laquelle on peut ajouter une langue passerelle (ou deux, ou plus, selon ses goûts et ses talents) qui peut servir à communiquer avec le monde au-delà.

(je poursuis cette réflexion «écologique» sur les langues dans le billet du 10 septembre : «Francophonie et préservation de la diversité culturelle: une saine prudence écologique«).

http://quebec.blog.lemonde.fr/2008/09/10/francophonie-et-preservation-de-la-diversite-culturelle-saine-prudence-ecologique-et-resistance-au-neo-liberalisme/

Les  Autochtones du Québec contribuent à enrichir la langue française en y apportant des imageries propres à leurs langues d’origine (au sujet de l’apport des Autochtones au patrimoine culturel, on peut lire le livre de Côté, Tardivel et Vaugeois, «»L’indien généreux» ).

Je constate de plus en plus que les Québécois ont grandement besoin de la francophonie. Les Français ont par leur grand nombre pu conserver une structure de la langue française complexe.  Les Africains et les Arabes y apportent aussi des contributions originales, leurs caravanes de mots et d’imageries.

Les Québécois ont dépoussiéré la langue française, mais leur structure de la langue risque de devenir de moins en moins complexe… De plus en plus d’individus ne pratiquent qu’une traduction syntaxique très près de l’anglais…(Comme l’écrit Marie-France Bazzo: «»»»»»Sommes-nous laxistes ? La mondialisation et l’hégémonie de l’anglais menacent des tas de langues, dont le français. (….) S’exprimer avec moins de mots que ne le faisaient nos parents n’est pas un progrès. Si nous souhaitons agir sur le monde, encore faut-il savoir le nommer.»»»»»»»»» La langue à terre, L’Actualité, novembre 2007).    

Le rêve de certains Québécois d’être « full bilingue » (parfait bilingue), fait que de plus en plus certains deviennent des anglophones d’esprit traduisant en français. Un certain esprit de la langue, langue française, se perd au profit de la fonctionalité. Certains à force d’être «full bilingue», en viennent à ne faire que du «traduit du». C’est pourquoi j’écris que les Québécois ont grandement besoin de se nourrir de la langue française enrichie par la francophonie et le souffle de diversité et de richesse que la francophonie apporte à la langue française.     (voir le texte de Christian Rioux, Full bilingue, Le Devoir, 15 février 2008)

http://www.ledevoir.com/2008/02/15/176220.html

Nous souhaitons aux peuples autochtones du Québec que les expressions culturelles, telle que la chanson joue pour eux le rôle important qu’elle a joué pour la culture et la nation québécoise, comme l’a montré le Karaoké du 400e tenu sur les Plaines le 15 juillet. Des dizaines de milliers de personnes sont venues chanter, se chanter, très souvent en famille, ces refrains qu’ils partagent. Puis en cette fête de l’amitié, Autochtones et Québécois ont montré à Claude McKenzie, que la chanson innue (Tipatshimun, la chanson du diable) faisait aussi partie du patrimoine québécois… et que ce patrimoine peut continuer à s’enrichir des contributions autochtones qu’elles soient innues, attikamèques, etc.  Le Québec, et l’Amérique, au cœur de la mondialisation ont besoin des artistes innus, attikamèques qui parlent et chantent, apportent leur contribution originale au monde. Les artistes innus attikamèques, etc. peuvent aussi en retour bénéficier de l’amérilatinité des artistes québécois et être portés par le réseau de la francophonie qui sillonne la planète.

Il faudrait aussi souligner l’apport d’une autre forme d’expression culturelle, le cinéma, qui fait peu à peu sa place dans les jeunes cultures autochtones grâce au Wapikoni mobile entre autres.  Le vidéo de Sakay Ottawa présenté plus haut est un exemple de production du  Wapikoni mobile… (pour plus d’explications au sujet du Wapikoni mobile et d’autres vidéos du cinéma amérindien voir le billet du 10 octobre: «Sommet de la Francophonie: Wapikoni«). Le cinéma a aussi joué un rôle important pour la culture québécoise.

Front commun pour le respect des Accords de Kelowna de 2005 ?

Parallèlement à cette fête de l’amitié des peuples autochtones, se déroulait à Québec une Assemblée des Premières Nations ainsi qu’une assemblée des premiers ministres des provinces et territoires du Canada.  Le premier ministre du Québec a joint sa voix au chef de l’Assemblée des Premières Nations en soulignant que les excuses du gouvernement fédéral présentées à la mi-juin pour les mauvais traitements subis dans les pensionnats autochtones ouvraient la porte pour un nouveau départ dans les relations avec les autochtones.  Le premier ministre du Québec s’est aussi fait le porte-parole du groupe de premiers ministres pour rappeler au gouvernement actuel d’Ottawa que les montants affectés à l’éducation des enfants autochtones étaient en moyenne deux fois moins élevés que ceux des autres communautés. Des accords ont été signés à Kelowna en 2005 par le gouvernement fédéral, les gouvernements des provinces et les chefs des « premières nations ».  Ils prévoyaient que des montants de 5 milliards de $ seraient consacrés entre autres à ces fins.  Depuis l’élection du nouveau gouvernement à Ottawa il y a plus de deux ans, ce dossier est bloqué. Le premier ministre du Québec a demandé que le processus ratification de ces accords de Kelowna continue.

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