Seuils d’immigration au Québec: Hausser ou diminuer ?

 

«Grande démission ?»  et pénurie de logements en région au Québec

L’analyse que je présente ci-dessous sur cette question de l’immigration (hausser le nombre ou diminuer? ) a été publiée en novembre 2018… Elle est  pertinente pour l’importance des questions qu’elle pose et des études de fond recensées, d’autant plus qu’on sait maintenant que le Québec et le Canada on accueillit des immigrants à des niveaux  bien supérieurs à ce qui était attendu, autant en matière de demandeurs d’asiles et réfugiés, de travailleurs temporaires que de candidats réguliers à l’immigration.

Si 2023 a été l’année où l’intelligence artificielle a été «»la personnalité de l’année»», si on me permet l’expression, au-delà des parlottes, on sait qu’elle aura un impact sur les réalités de nos sociétés. En janvier 2024, la directrice du  Fonds Monétaire Internationale (FMI) publiait une chronique où elle estimait que l’Intelligence artificielle pourrait affecter, toucher jusqu’à 60 % des emplois dans les économies développées. Elle appelait à réviser et améliorer les politiques visant à diminuer les inégalités sociétales, car l’économie des pays développés pourrait être durablement affectée négativement par ce changement technologique. Cela changerait bien entendu toute la toile de fonds et nous orienterait vers des surplus de main d’oeuvre, en particulier les cols blancs.

De plus la thématique du début de 2023, après trois ans de pandémie, étaient que toutes les entreprises clamaient qu’il y avait une pénurie de main d’oeuvre, mais c’était bien davantage parce que le marché de l’emploi et l’économie, en particulier le marché immobilier, ont été profondément perturbés par cette pandémie (Covid-19).

Ces 3 ans de COVID ont amené un transfert de la population montréalaise  vers les régions et une hausse majeure des prix. Un bon nombre de villes du Québec actuellement auraient de la difficulté à accueillir davantage d’immigrants et de réfugiés en provenance de l’étranger, car le taux d’inoccupation des logements locatifs est au minimum. Il y a très peu de logements inoccupés, à savoir moins de 1 % . C’est le cas de Sherbrooke, Trois-Rivières, Gatineau et Saguenay, ainsi que de Drummondville, Granby, Rimouski, Shawinigan, Alma, Baie-Comeau, Sainte-Adèle, Joliette, Rivière-du-Loup, Rouyn-Noranda, Saint-Georges, Sorel-Tracy et Salaberry-de-Valleyfield.

De plus, il est possible que ces années de COVID ait changé les habitudes de vie et de travail. Par exemple en en juillet 2021, plus de 4 millions d’Étatsuniens ont quitté leur emploi . De fait «»Au cours des six derniers mois de 2021, 25,6 millions d’Américains ont démissionné de leur emploi, un phénomène que les médias ont baptisé la « Grande Démission ».  (voir aussi le documentaire d’Isabelle Maréchal sur cette question).

Est-ce une démission ?  non, c’est probablement davantage une remise en question de la relation entre vie et travail rémunéré.  Les gens ont quitté pour prendre soin de leur,  santé, prendre soin de leurs enfants, prendre des vacances, repenser leur vie, certains ont pris leur retraite… On verra si ce n’est que temporaire, ou si cela perdurera. On veut mieux concilier, vie, travail, famille…

Le Québec n’y échappe pas. On a aussi noté qu’ il y a un déplacement perceptible des populations des grandes villes vers les villes intermédiaires, voir les régions (en 2021, 48 000 personnes ont quitté Montréal et se sont installés ailleurs au Québec.): le télétravail ! … Marre du stress perpétuel de la circulation des métropoles trop denses? Est-ce simplement un épiphénomène temporaire, ou assistons-nous à une tendance qui persistera ?

Chose certaine, il faut apporter une attention particulière à ce qui se passe, des secteurs des services risquent d’être profondément bouleversés. Sans oublier, toutes les chaînes de logistique qui sont brisées, ou tout au moins perturbées sur la planète, suite à cette pandémie, et l’effet inflationniste sur les prix.

J’indique à la fin de cette analyse  un lien  vers  une étude fort pertinente de l’économiste émérite Pierre Fortin publiée dans la revue l’Actualité du 31 mars 2021 au sujet de l’immigration qui trace lui aussi un cadre général.

«»»IMMIGRATION: le juste milieu entre trop et pas assez»», Pierre Fortin

Voici le lien:

https://lactualite.com/lactualite-affaires/immigration-le-juste-milieu-entre-trop-et-pas-assez/

J’ajoute cette phrase amusante  de l’économiste étatsunienne Heidi Shierholz à propos de la pénurie d’emplois
«»Quand un employeur dit « je ne trouve pas d’employés », il est, en réalité, en train de dire « je ne trouve pas d’employés au prix que je veux payer»»»    et … j’ajouterais «aux efforts que je souhaite apporter pour former ces nouveaux employés, ou pour répondre à leurs attentes de vie».

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Nous avons constaté au cours de la campagne électorale menant à l’élection d’octobre 2018, jusqu’à quel point il est difficile, voire impossible d’avoir un débat raisonné sur l’immigration au Québec pendant une campagne électorale ?

Le Québec accueille environ 50 000 immigrants par an depuis plus d’une dizaine d’années.  Mais puisque le Québec connaît actuellement une crise de l’emploi, les milieux d’affaires ont réclamé de porter à 60 000 le nombre de nouveaux immigrants par année.

Le premier ministre libéral sortant Philippe Couillard était sensible à cette demande. Mais la Coalition Avenir Québec annonçait qu’elle viserait un seuil de 40 000 immigrants par an pendant que le Parti Québécois évoquait un seuil de 35 à 40 000. Alors le chef libéral a dit que l’immigration serait LA question de l’élection 2018. Il en a profité pour claironner que « freiner » l’immigration serait « absurde et antiéconomique ».

Est-ce vraiment « absurde et antiéconomique » de songer à diminuer les seuils d’immigration au Québec ?

Crise de l’emploi et immigration : que nous disent les faits ?

Les faits nous disent que hausser actuellement le seuil d’immigration au Québec serait une mauvaise réponse à un problème réel.

Pourquoi ? La crise de l’emploi est un problème criant particulièrement en région. Or, en 2017, environ 85 % des immigrants se sont installés dans la grande région de Montréal. Trente ans plus tôt, c’était 87 %. Même si depuis 1990, les énoncés politiques du gouvernement du Québec affirment que l’accent doit être mis sur la régionalisation de l’immigration, rien n’a changé depuis trois décennies: constat d’échec.

Dans l’état des politiques et pratiques d’immigration actuelles, des résultats obtenus, hausser le seuil d’immigration ne réglerait pas la pénurie de main-d’œuvre que connaissent nombre de régions du Québec.

Comment expliquer alors pourquoi le gouvernement Couillard a éliminé les bureaux régionaux d’immigration ! C’est cela qui paraît absurde.

Immigration et économie :

Mais revenons à nos milieux d’affaires qui réclament régulièrement une hausse de l’immigration. Depuis plus d’une décennie, le Conference Board of Canada a publié des rapports affirmant qu’une hausse de l’immigration serait un bienfait pour l’économie. Il invite les gouvernements à hausser l’immigration au Canada à 350 000 ou 400 000 personnes (2008, 2009, 2011, 2013).

Est-ce que réduire le seuil serait « antiéconomique » comme le clamait Philippe Couillard? Est-ce que la hausse des seuils d’immigration conduit à une amélioration du niveau de vie pour chaque Québécois, pour chaque Canadien ?

Cette dernière question a été posée à Munir Sheikh, ex-Chef statisticien du Canada. Il y a répondu dans les pages du Globe & Mail : « The simple answer is no ». La réponse simple est non ( More immigration, better standard of living ? We don’t have the evidence to say,  2 novembre 2016).

Auparavant des études québécoises avaient tracé les contours de cette question complexe. En 2011, Dubreuil et Marois avaient montré que sur les plans économique et démographique la hausse des seuils d’immigration ne serait pour le Québec qu’un « Remède imaginaire ».

Puis, les professeurs Boudarbat et Grenier (CIRANO et Université d’Ottawa) ont confirmé ces conclusions. Ajoutant que l’immigration avait un effet « possiblement positif, mais assez faible », pourvu que les immigrants s’intègrent bien au Québec et pour un temps long. Malheureusement, encore là, le Québec a de la difficulté à les retenir. Le quart d’entre eux quittent dans les années suivant leur accueil. Ce qui est coûteux pour le Québec puisque le coût des services rendus aux immigrants durant leur séjour ici est supérieur aux montants des impôts et taxes qu’ils verseront aux gouvernements (Grady et Grubel, 2015).

La question de l’immigration est complexe, tout dépend des immigrants qui sont sélectionnés, des moyens mis en place pour les intégrer au marché du travail, à la société, à la culture. Néanmoins, l’ex-PM Couillard et le Conference Board sont dans l’erreur : hausser l’immigration n’est pas automatiquement une bénédiction pour l’économie et il n’est pas « antiéconomique » de ralentir l’immigration.

 4e révolution industrielle et crise majeure de l’emploi ?

 Parallèlement, il ne faut pas oublier que nombre d’organisations publient des recherches prévenant que l’automatisation, la robotisation et l’intelligence artificielle vont bouleverser le marché de l’emploi.

Un rapport du cabinet-conseil McKinsey prévoit que d’ici 2030, la 4e révolution industrielle amènerait l’automatisation de 400 et 800 millions d’emplois dans le monde. Au moins 375 millions de travailleurs devraient se recycler (2017).

Au Canada cela toucherait environ 25 % des emplois. La robotisation pourrait opérer des coupes importantes dans les emplois manufacturiers. L’intelligence artificielle (big data, internet des objets) amènerait une automatisation du travail intellectuel, qui opérerait une « dynamique de chômage technique irrésoluble » dans les emplois de cols blancs.

Le Forum économique mondial (World Economic Forum, 2016) estime que cette 4e révolution industrielle en cours provoquerait la perte de cinq millions d’emplois. Les nouvelles technologies numériques ayant des coûts en capitaux plus bas, créent moins d’emplois primaires, et génèrent moins d’emplois secondaires (Frey & Osborne, 2013).

Qu’en est-il pour le Québec? Reprenant un rapport de l’Institut C. D. Howe, Éric Noël estime qu’environ le tiers des emplois au Québec, soit environ 1,4 million d’emplois seront profondément perturbés par les bouleversements apportés par les technologies dites « intelligentes » (janvier 2018).  Certains emplois disparaîtront, il y aura nécessité de reformulation des tâches, besoins de formation, recyclage.

Accueillir moins, accueillir mieux

Toute politique d’immigration sérieuse se doit de prendre en compte une réflexion sur cette 4e révolution industrielle et son impact sur le marché de l’emploi, afin de ne pas créer trop de désillusions à la fois dans la population qui accueille les immigrants et chez ceux qui seront accueillis.

Le Québec et le Canada sont des États parmi les pays développés qui accueillent proportionnellement le plus grand nombre d’immigrants.  Même en accueillant un peu moins d’immigrants à 40 000 par an, le Québec demeurera à un seuil d’accueil relativement élevé.

Rappelons que nous accueillons aussi et peut-être surtout pour des raisons morales, humanitaires, sociales, culturelles, politiques. Sans oublier que sur le plan économique, nombre des pays d’origine de nos immigrants bénéficient aussi de retours monétaires élevés que ceux-ci font parvenir à leurs familles.

De fait accueillir moins, accueillir mieux, non seulement fait du sens, mais c’est le bon sens. Quitte à remonter le seuil d’immigration par la suite, au besoin.

D’ici là, le Québec doit en profiter pour revoir les politiques afin de mieux sélectionner, de  régionaliser et mieux intégrer. Il ne faut pas oublier qu’il y a actuellement au Québec, environ 300 000 chômeurs et 300 000 prestataires de l’aide sociale dont environ le quart sont des immigrants. Mieux intégrer c’est aussi aider ces immigrants récents à participer à la vie active.

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