Belliard et son hommage aux francophones d’Amérique
Alexandre Belliard a pendant 15 ans chanté sa vie, ses amours, ses expériences, comme tous les auteurs-compositeurs. Au cours de cette période, il a aussi rendu hommage en chansons à quelques poètes qu’il admirait Rimbaud, Denis Vanier, Marie Uguay, Renaud.
Puis à 34 ans, à la lecture du poème « Les pionnières » de Thérèse Renaud (signataire du manifeste du Refus global), il a subi un choc. Celle-ci parlait de Marie Rollet, d’Hélène Boullé et de Marie Archambault. Il s’est dit : si ce sont trois pionnières de la Nouvelle-France comment se fait-il que je n’en aie jamais entendu parler ?
Ce fut le chemin de Damas de ce passionné d’histoire.
Il s’est alors plongé dans l’histoire de la Nouvelle-France et de l’Amérique et a entrepris en 2012 un certificat en histoire à l’université. Allant de découverte en découverte il a décidé de les faire partager en chansons.
Poète, historien, chanteur « folk »
Depuis plus de 6 ans, il se consacre au projet de raconter la vie de personnages historiques qu’il admire. Il a maintenant plus de 85 chansons bien tournées, dont 55 ont déjà été publiées. Il faut saluer sa persévérance et son style.
Le tout prend aujourd’hui la forme d’une remarquable constellation de chansons sur l’histoire des francophones d’Amérique : Légendes d’un peuple.
Habité par une âme de poète, Belliard s’est formé un esprit d’historien qu’il a immergé dans sa pratique de chanteur. Il est devenu un véritable chanteur « folk ». Il chante le « peuple » de ses ancêtres, qui depuis près de 5 siècles maintenant a contribué à façonner l’Amérique.
Peuple qui, contrairement aux conquérants anglais et espagnols voisins, a cohabité avec les Amérindiens, comme Belliard l’exprime dans le refrain de sa chanson « Champlain »:
« Partager sans tout prendre, le territoire de mes frères,
Métisser un Nouveau Monde en Amérique,
S’imprégner pour apprendre, des Premiers Peuples en ces terres
Pour survivre et comprendre l’Amérique »
Outre Champlain, il a honoré d’une chanson : Maisonneuve (« hardi et pieux »), Jeanne Mance, Callières (ingénieur, militaire, gouverneur et diplomate qui négocia la Grande Paix de Montréal en 1701, endossée par 40 peuples amérindiens), le prodigieux d’Iberville, Charles Le Moyne, Papineau (« patriote en exil d’un peuple que l’on maintient fragile »), etc.
Il a consacré des chansons à des Amérindiens et des Métis franco-amérindiens Membertou, Gabriel Dumont, Louis Riel, sa grand-mère Marie-Anne Gaboury ;
à des explorateurs et coureurs des bois, tels Cavelier de LaSalle, Étienne Brûlé, Radisson;
et à plusieurs « remarquables oubliés » dont Sacagawea et Toussaint Charbonneau (né à Boucherville) qui furent guides de la grande expédition scientifique étatsunienne Lewis et Clarke (1804-1806) ;
Sans oublier Marie Rollet cette « pionnière de nos pionnières » et son mari Louis Hébert, l’apothicaire, et leurs trois enfants, première famille à s’installer en Nouvelle-France en 1617, dont on souligne à Québec le 400e anniversaire de la venue.
Il a aussi honoré d’une chanson des contemporains tels le Frère botaniste Marie-Victorin, le monologuiste Yvon Deschamps, l’homme fort Louis Cyr, René Lévesque.
Belliard a aussi mis en musique des poèmes d’Anne Hébert, de Louis Fréchette, d’Octave Crémazie, de la poétesse innue Joséphine Bacon et salué les poètes Gaston Miron et Gérald Godin.
Belliard aime faire partager ses découvertes. Son art distille l’admiration et renoue avec les « neuves espérances » qui ont animé et animent les Francos d’Amérique. Son style d’écriture poétique éclaire le parcours de ceux et celles qu’il met en lumière et a le mérite de nous éloigner du cynisme ambiant. Cette œuvre musicale continue de s’étoffer, il travaille actuellement à une chanson sur Pierre Boucher.
Francophones d’Amérique sur disque et en spectacles
Ces légendes d’un peuple grandissent aussi parce qu’elles ont rejoint d’autres artistes qui ont repris ces chansons. En 2015, un collectif de plus d’une douzaine d’artistes a endisqué une série de ces Légendes, donnant un bel aperçu de l’ensemble de l’œuvre. Ils ont aussi fait une tournée de spectacles, dont un aux Francofolies de Montréal. Jorane, Yann Perreault, Vincent Vallières, Richard Séguin, Patrice Michaud, etc. faisaient partie de cette équipée.
En 2017, une seconde tournée de spectacles de Légendes d’un peuple est en cours avec Jorane, Daran et Salomé Leclerc.
Ces Légendes d’un peuple ont amené Alexandre Belliard à chanter partout au Québec, ainsi qu’au Canada, aux USA, en France, en Haïti. Il se prépare pour une tournée en Amérique latine en 2018.
Renouer avec notre passé culturel
Comme l’écrit Edgar Morin dans L’humanité de l’humanité : « Le ressourcement dans le passé culturel est pour chacun une nécessité identitaire profonde ».
Mais dans un Québec où l’enseignement de l’histoire s’étiole et où le gouvernement du Québec n’a malheureusement pas de politique de commémoration, les Québécois hésitent à se commémorer, pensent que leurs fondateurs et événements historiques sont peu dignes de mention, ou méritent d’être effacés par l’Histoire. Comme si nous ne pouvions être fiers de notre patrimoine.
En fait, les Québécois sont fiers, mais la commémoration historique demeure problématique, dans le contexte canadien de concurrence des mémoires, particulièrement lorsqu’elle touche cette nation qui a fait sa place en Amérique deux siècles et demi avant le Canada de 1867, qui fête ses 150 ans. Tant et si bien que ce nécessaire ressourcement dans le passé culturel ne va pas de soi.
J’ai préparé ce billet à la veille de la fête nationale du Québec afin de saluer le talent, la persévérance d’Alexandre Belliard et la pertinence de son projet. Mais aussi pour piquer votre curiosité et inviter à reprendre contact avec notre passé culturel. (Ces petites capsules de mémoire chantée peuvent être visionnées sur YouTube, ou directement écoutées sur le site internet de Légendes d’un peuple, en cliquant ici.)
Identité et fête nationale du Québec
Un ouvrage récent, le « Code Québec » (2016) de Léger, vient de tracer le portrait des sept traits de l’identité québécoise.
Nous sommes porteurs, consciemment ou non, de notre histoire, de notre passé culturel comme peuple, comme nation. (déploiement sur plus de 4 siècles, venant d’Europe et s’implantant sur le continent d’Amérique, puis tributaire de nos relations avec les autres peuples et nations de ce continent… coopérations et conflits, etc.).
J’ai tenté de résumer ce Code Québec et ses 7 traits identitaires des Québécois :
« « « L’identité collective québécoise est complexe. Elle émerge de 4 siècles de coexistence d’une population majoritairement d’origine française, implantée en Terre d’Amérique.
De la France, nous avons retenu la créativité et la langue; du contact amérindien, le consensus ; de la froidure climatique, la nécessaire solidarité de proximité.
D’avoir vécu plus de deux siècles dans la rigueur d’une société anglaise a laissé au fond de notre âme collective une trace victimaire (peur de l’échec), un certain détachement du réel (grand parleur, petit faiseur).
De baigner dans le rêve américain, nous a amené à développer un pragmatisme optimiste et une fierté, mais toute modeste, d’être encore, ici et maintenant. »
Bonne fête nationale du Québec ,
en 2017 , c’est la 183e édition de cette fête nationale
et longue vie aux Francophones d’Amérique.