Fabriquer le « Nous » anglo-canadien: Story of US

Le gouvernement du Canada a dépensé 500 millions $ pour célébrer en 2017, le 150e anniversaire du Canada même si à l’évidence, il ne s’agit pas de la fondation du Canada comme je l’ai montré dans le billet « Quel âge a le Canada? ».  L’histoire du Canada est complexe.

Les festivités de 2017 ont célébré le Canada d’aujourd’hui, sa diversité, mais très peu son histoire. Ce qui est très cohérent avec le discours du premier ministre Justin Trudeau pour qui le Canada serait postnational, sans identité unitaire ou convergente, et pourtant…

The Story of US : fabriquer le « nous » identitaire des Anglos-Canadiens, ou le conforter

De fait la seule initiative d’importance en matière d’information historique a été diffusée sur le réseau  CBC (le réseau de télé publique du Canada anglais). Il s’agit d’une série de 10 émissions d’une heure comportant chacun 5 tableaux mettant en évidence un moment choisi de l’histoire du Canada : « Canada : The story of US »

Il faut souligner que la formule de scénarisation, le formatage de la création de cette série avait auparavant connu beaucoup de succès dans le monde anglo-saxon.  Ce style développé par la firme de production étatsunienne Nutopia est qualifié de « megadoc » (megadocudrama).  La recette de Nutopia avait auparavant remporté des Emmy Awards  (récompenses de la télé étasunienne) avec ses productions précédentes  soit « AMERICA, the story of US » , une série sur les États-Unis et « Mankind, the story of US ».

De plus cette formule avait été reproduite pour les Australiens, avec « Australia, the Story of US« , puis reprise par les Britanniques, dans une série intitulée   » The British« .  Somme toute une formule éprouvée de prose épique, un megadocudrama étant un alliage de réalité et de fiction destiné à créer des héros et des légendes finalement. Le problème étant que le grand public peut considérer que c’est la réalité historique… mais c’est du cinéma.

Dans la série Canada, the story of US, on fait l’apologie d’immigrants, principalement britanniques, qui se font entreprenants, voire  entrepreneurs audacieux et ingénieux, triomphent malgré les difficultés, et construisent ce grand pays,  le Canada. Il s’en dégage une impression de grandiose, les images sont soignées.  En conclusion de la série on va jusqu’à présenter le Canada comme étant un modèle pour le monde du XXIe siècle. Fierté, merci Hollywood.

Déprécier ou ignorer les fondateurs français venus deux siècles et demi auparavant :

Malheureusement ce n’est pas l’histoire que tout ce cinéma, il y a des biais de conception, qui vise à conforter une image lisse et grandiose de l’identité, le Nous du Canada, rejeton de l’Empire britannique. 

Lors de la première émission, Champlain, considéré comme le Père fondateur de la Nouvelle-France (début du 17e siècle), est présenté vêtu de vêtements crasseux, sale, lors d’une rencontre diplomatique auprès des Amérindiens. Les autres Français qui sont mis en scène dans la première émission, sont présentés dans des rôles de comploteurs (Duval) et de traîtres (Radisson). Alors que le général anglais Wolfe en 1759 est présenté comme « tiré à quatre épingles » à la bataille sur les plaines d’Abraham « comme si le pouvoir civilisateur des Anglais venait de leurs moeurs supérieures» et qu’enfin en 1760 les Britanniques venaient mettre fin à ce régime « inférieur » afin que les conquis puissent enfin accéder à la civilisation de l’Empire.

Dans la seconde émission, Alexander MacKenzie est dépeint comme un superhéros, le premier être humain qui aurait réalisé un tracé traversant les Rocheuses pour atteindre le Pacifique en 1793. C’est à peine, si on dit que MacKenzie était accompagné de Dénés et de Voyageurs. Sans explication. On passe sous silence l’apport des Français, des Métis et Amérindiens. La vérité est que bien avant Alexander MacKenzie, des Canadiens français et Métis avaient auparavant été reçus et avaient visité le territoire déné.  Serge Bouchard, rappelle que ces Voyageurs, remarquables oubliés du voyage de MacKenzie en 1793, se nommaient « « Charles Doucette, Joseph Landry, François Beaulieu, Baptiste Bisson, François Courtois et Jacques Beauchamp ».

Dans cette seconde émission, le narrateur affirme que ce n’est qu’après 1777 que les « commerçants » se rendent au-delà des Grands Lacs, alors qu’en 1777 cela fait près d’un siècle que les  Coureurs des bois et Voyageurs  Franco-Canadiens font le commerce des fourrures avec les nations amérindiennes vivant au nord et à l’ouest des Grands Lacs. (Sans oublier, Pierre Gaultier de la Vérendrye et ses fils qui de 1731 à 1736 ont fait officiellement l’exploration de l’Ouest canadien au-delà des Grands Lacs alors qu’ils cherchaient la route pour « la mer de l’Ouest » (le Pacifique).)

Ces tableaux ne peuvent que laisser une impression globale que l’histoire du Canada est revue et réinterprétée de manière à passer sous silence ou à déprécier la présence des ancêtres français installés deux siècles plus tôt.

D’ailleurs devant le tollé de commentaires négatifs venant des historiens, des politiciens du Québec et de l’Acadie en particulier, la CBC a dû s’excuser et souligner que cette série était un « docudrama », elle ne se voulait pas « historique », mais davantage du « storytelling », des récits racontés pour un public anglophone. 

Effacer les moments sombres du « Nous » Anglo-Canadien :

Sans oublier que les auteurs ont jugé bon d’effacer les moments sombres de l’histoire du Canada  afin de préserver une image épique positive des « héros » anglais, britanniques.

Mais la réalité c’est que pour conquérir la Nouvelle-France, l’Acadie et le Canada, l’armée britannique s’est d’abord emparée de l’Acadie, puis de 1755-1763, elle a déporté plus de 12 000 descendants des Français (1755-1763), un acte de guerre, qui aujourd’hui serait qualifié de « purification ethnique ». Puis l’armée britannique a ravagé la Côte-Sud du fleuve St-Laurent, brûlant les fermes sur son passage, afin d’en arriver à décourager la population, puis affamer et faire tomber Québec.

Pourquoi cet oubli de la déportation des Acadiens ? Ce genre d’acte de guerre ne fait pas bonne impression quand on veut fabriquer l’image d’un pays que le premier ministre Trudeau présente dès la première minute de la première émission comme « enraciné dans la diversité » .

De l’ensemble de la scénarisation de ce docudrama se dégage un travail visant à fabriquer, ou à confirmer une identité nationale, un Nous identitaire attrayant pour les anglophones, et à la transmettre aux générations qui grandissent une image grandiose et confortante. Une identité attrayante, voire attractive aussi pour les allophones, mais en fin de compte «  » de nombreux francophones en viennent à intérioriser un sentiment d’être inférieurs, les poussant vers l’assimilation, car beaucoup cherchent à fuir une identité stigmatisée«  » (Michel Bouchard, BC).

Étant donné les biais et oublis historiques, la CBC n’a officiellement pas été autorisée à diffuser ce matériel dans les écoles car  il induit une forme de discrimination culturelle. Mais cela va de soi qu’il se retrouve sur les réseaux sociaux et plateformes comme Youtube où la CBC le diffuse.

ÉPILOGUE

Du Canada des deux peuples fondateurs au Canada multiculturel post-1982

L’Acte d’Amérique du Nord Britannique qui marquait la transition vers le Dominion of Canada de 1867 n’est qu’un chapitre d’une histoire qui a commencé des siècles auparavant. Dans le cadre des fêtes du 400e anniversaire de la naissance du Canada, le premier ministre du Canada, R.B. Bennett déclarait en août 1934 à Gaspé,  que le Canada s’était construit sur deux peuples fondateurs, les Français et les Anglais. Malheureusement, il oubliait les Amérindiens.

Mais en particulier depuis 2016, alors que la Commission Vérité et réconciliation a rendu le verdict à l’effet que le Canada de 1867 a été responsable du génocide culturel des peuples amérindiens du Canada, le gouvernement de Justin Trudeau fait  acte de contrition avec les peuples Amérindiens.

On peut le constater dans la série. Les Amérindiens sont bien présentés. Ils sont bien mis en valeur artistiquement dans la série (costumes, allure fière, etc.) . Il faut noter que les deux conseillers principaux en matière de contenu de cette série de dix émissions, sont l’historien John English, ainsi que l’artiste autochtone Gerald McMaster, (École d’art et de design de l’Ontario). Il n’y a pas d’historien universitaire, connaissant l’histoire de la Nouvelle-France, qui soit conseiller de la série en matière de contenu . Cela se reflète dans cette série « The Story of US » que le PM Justin Trudeau  présente, endosse  et finalement que nous finançons.

Le conseiller principal en contenu historique est John English, un ancien député du Parti libéral fédéral. Il est notamment l’auteur, d’une biographie en deux tomes de Pierre Elliott Trudeau, père de l’actuel premier ministre, rédigée à la demande de la famille. De plus, John English est membre de la Fondation Trudeau depuis 2003. La Fondation Trudeau est l’âme de la production et la diffusion du discours multiculturaliste diversitaire.

Il ne faut donc pas s’étonner de constater que cette série soit conforme au dogme du multiculturalisme, « nous sommes tous  des immigrants », dogme qui a cours depuis le rapatriement unilatéral de la Constitution en 1982 par Pierre Elliot Trudeau en 1982, le père du premier ministre actuel.  Cette formule permet au premier ministre Justin Trudeau de méconnaître l’existence du second peuple fondateur, de le réduire à n’être que l’un des groupes culturels qui a immigré au cours des années… même s’il est implanté en Terre d’Amérique depuis quatre siècles. Et encore aujourd’hui, ce docudrama présenté en 2017 se plaît à le discriminer.

Mais la diversité est une notion complexe. Elle ne se réduit pas au décompte du nombre d’individus provenant d’ethnies différentes vivant sur un même territoire. Respecter la diversité d’un pays, c’est aussi respecter la diversité de ses nations fondatrices.