Villers-Cotterêts: 480 ans de langue française et Francophonie

Villers-Cotterêts: 480 ans de langue française et Francophonie

Villers-Cotterêts, le français et une Francophonie qui se mondialise

Le 20 mars 2018, à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie, le Président Emmanuel Macron à profité d’un discours prononcé dans l’enceinte de l’Académie française afin de lancer un vibrant plaidoyer pour une Francophonie plus ambitieuse.

Prenant acte que dorénavant le français s’est émancipé de la France, il est dorénavant une « langue monde », parlée sur les 5 continents, il a salué au passage le combat séculaire « des Québécois, des Belges, des Suisses pour porter haut le français« .  Il a souhaité que le 20 mars soit pour les écoles de France, une journée consacrés aux littératures francophones du monde. Il a aussi fait part des efforts que dorénavant la France portera pour le développement du français en Afrique, car l’Afrique est le continent qui demain comptera le plus de francophones.

Dans le présent billet, nous allons nous intéresser à un volet particulier du discours du Président Macron, à savoir le projet de transformer le château de Villers-Cotterêts, en un centre de découverte de la Francophonie. Ce château deviendra un lieu d’art et de culture consacré aux cultures francophones du monde.

Ce château situé à 75 km au nord de Paris (un peu à l’ouest de Reims), est lié à l’histoire de France depuis des temps immémoriaux, mais c’est vers 1530 que le roi François 1er entreprit de le transformer en demeure royale entre autres parce qu’il aimait bien y chasser dans la forêt voisine.

François 1er, langue française et Nouvelle-France:  bientôt 480 ans

– implantation du français comme langue administrative et quête d’un Nouveau Monde

Pourquoi faire du château de Villers-Cotterêts, un lieu dédié à la Francophonie? Comme l’a souligné le Président Macron, c’est en ce château que fut édicté et signé en août 1539, par le roi François 1er, l’Ordonnance de Villers-Cotterêts. Cette ordonnance royale faisait du français la langue administrative officielle de France, remplaçant le latin.

Cette ordonnance marque les ambitions du roi François 1er. Par la même occasion, ce bâtisseur a centralisé les pouvoirs de diverses manières : il a réduit ceux des villes et de l’Église, et fait du français la langue de l’administration et de la justice, tout en rendant obligatoire la tenue des registres de baptême, etc. Cette ordonnance marque les débuts de l’état civil.

Pendant que François 1er s’attache à centraliser les pouvoirs et ordonnancer le fonctionnement de l’État français, au cours de la même décennie, il s’attaque à bouleverser les règles du partage du monde. Ambitieux, François 1er l’est aussi parce qu’à la même période il oeuvre à étendre la France vers le Nouveau Monde, vers les Amériques.

La Nouvelle-France apparaît sur les cartes: vers une francophonie mondiale

Le Pape Alexandre VI, par le Traité de Torsedillas en 1494, avait conféré à l’Espagne et au Portugal le monopole du partage de toutes les découvertes territoriales qui se feraient dans les Amériques suite aux explorations de Colomb (1492).

Au nom de la France, François 1er a entrepris de contester ce partage du  Nouveau Monde. Dans un premier temps, il a envoyé Verrazzano en 1524 explorer la côte est de l’Amérique du Nord, de la Floride au Cap-Breton. On vît alors apparaître le nom de Nouvelle-France sur les cartes de l’Amérique telle une prise de possession (Nova Gallia).

François 1er poursuit ses visées de nouveaux territoires. Des démarches sont menées auprès du Pape. En 1533, l’évêque de St-Malo, cousin de l’explorateur Jacques Cartier, obtint du Pape Clément VII une déclaration excluant du partage de Tordesillas « les terres non encore découvertes » par l’Espagne et le Portugal.

La France fait sa place en Amérique : découverte et première colonie

Cette déclaration papale ouvre la voie aux deux voyages d’exploration-découverte de Jacques Cartier dans le golfe et le fleuve St-Laurent, 1534 et 1535-36. Sur les cartes d’Amérique, l’appellation Nova Francia, puis Nouvelle-France, succède à Nova Gallia. Les voyages de Cartier ayant été fructueux, le projet d’implanter une colonie est envisagé, mais retardé par une guerre entre la France et l’Espagne. Néanmoins un devis prévoyant les approvisionnement pour l’établissement d’une colonie de 276 personnes est rédigé en 1538. Le site de l’implantation est décidé en 1539, un peu en amont de Québec. Celle-ci est programmée pour 1540.

À l’automne 1540, on planifie que 2 flottes distinctes partiront. Jean-François de la Rocque, sieur de Roberval, un militaire de renom, de surcroît ingénieur des fortifications et des mines est nommé à la tête de l’expédition. Il s’occupera de gestion et de défense. Jacques Cartier pourra de nouveau se concentrer sur l’exploration.

Tout en visant à faire sa place en Amérique, la France cherche à savoir si le St-Laurent, déjà exploré en partie par Cartier, mène à l’Asie. De plus, on veut vérifier s’il y a des métaux précieux en abondance comme le Mexique (1520) et le Pérou (1532) l’ont révélé aux Espagnols ?

La colonie s’établit à Cap-Rouge en 1541. Cartier la nomme Charlesbourg Royal. Roberval la rebaptise France-Roy l’année suivante.

Colonie Cartier-Roberval 1540 Cap-Rouge

Puis en Europe, en 1543, l’Angleterre s’allie à l’Espagne et les deux entrent en guerre contre la France.

Le roi François 1er ordonne à l’éminent militaire qu’est Roberval de rentrer en France avec tous ses soldats et habitants de la colonie. Ce qu’il fera en septembre 1543. Roberval espérait revenir dans sa colonie d’Amérique, mais François 1er décède en 1547 et son successeur Henri II s’intéressera plutôt au Brésil. Le départ de 1543 se révélera un abandon définitif de la colonie de Cap-Rouge.

Tant et si bien que cette colonie qui fut implantée au début des années 1540, glissa dans l’oubli. Ce n’est qu’avec la découverte en 2005 du site de cette colonie, à Cap-Rouge, près de Québec, et grâce aux fouilles archéologiques et recherches historiques qui ont suivi qu’on peut aujourd’hui adopter un éclairage nouveau sur les débuts de la Nouvelle-France d’Amérique.

La colonie France-Roy de 1541-43 (à Cap-Rouge): une réussite sous certains aspects

Cette mission coloniale sous certains aspects fut une réussite scientifique, politique et économique comme le montre bien les recherches de l’historien Bernard Allaire publiées en 2013 ( » La rumeur dorée: Roberval et l’Amérique« ). Dorénavant, les Français savent qu’ils peuvent vivre ici mais que les pierres et métaux précieux n’y sont pas faciles d’accès. On a exploré davantage le grand fleuve, on espère toujours qu’il mène vers l’Asie. En installant une colonie, celle-ci serait bien placée sur la route des biens entre l’Asie et l’Europe.

Par cette implantation de grande ampleur, la France devient la 3e puissance à s’inscrire dans le domaine colonial des Amériques aux côtés de l’Espagne et du Portugal (réussite politique).  La France y a gagné un droit d’accès à une vaste région du Nord de l’Amérique.

On peut maintenant mieux répondre à la question : « que s’est-il passé entre les voyages d’exploration-découverte de Cartier (1534) et la fondation de Québec en 1608 ? ». Entre Cartier, 1534-36 et l’établissement de Champlain (1608), pendant des décennies, les marins et commerçants français auront accès à un vaste territoire. Dès le milieu du XVIe siècle en provenance d’une quarantaine de ports français, quelques centaines de navires comptant quelques milliers de marins viendront chaque été sur les côtes du golfe et du fleuve (Bretons, Basques, Saintongeais…). Sur les plages, nombre d’entre eux installent des établissements saisonniers (sécher la morue, fondre la graisse de baleine). Certains font le troc des fourrures avec les Amérindiens.

La période entre 1543 à 1608, paraissait comme une période vide, un délai. On sait  aujourd’hui que ce fut une période fort active d’échanges où les ressources (poissons, baleines, fourrures) étaient prélevées sans que la France ait à défrayer les coûts d’un établissement permanent : sage décision économique.

Alors qu’en 1540 les Français, sous la direction de Roberval, avaient une attitude de conquistador, ces quelques décennies de contact interculturel auront permis une certaine connaissance de l’autre. Si bien qu’en 1603, au cours d’une cérémonie diplomatique à Tadoussac où Samuel Champlain était présent, les Amérindiens ont consenti à ce que les Français viennent peupler leurs terres et combattre à leurs côtés leurs ennemis iroquois.

Ce délai dans l’implantation permanente s’est donc avéré une sage décision culturelle. La Nouvelle-France, le Canada de Samuel Champlain en 1608,  pris la forme d’une alliance franco-amérindienne alors que les colonisateurs espagnols et britanniques ont adopté des attitudes visant plutôt à la domination du  monde amérindien.

(Sur cette question des relations différentes entre Français et Amérindiens  versus le comportement des Anglais et des Espagnols:  lire le billet « une Amérique Franco-Amérindiennes 1603-1803″ » sur ce blogue )

https://alainlavallee.com/lamerique-francaise-1608-1803-fondee-sur-les-alliances-avec-les-amerindiens/

La redécouverte récente  de la colonie de  France-Roy contribue à montrer que la Nouvelle-France existait bien avant la fondation de Québec.

Ces décennies entre la colonie de 1541-43 et l’établissement de Champlain en 1608 ouvrent une piste pour considérer que la Nouvelle-France, la fondation d’une Amérique franco-amérindienne  aura 500 ans en 2041.

Près de 5 siècles plus tard, on peut affirmer aujourd’hui que l’Ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François 1er a largement contribué à faire du français une langue majeure sur le plan mondial, et d’autre part, au même moment, sa volonté d’ébranler le partage du monde décidé par l’Église catholique, a contribué au rayonnement actuel de la francophonie. Longue vie au futur centre de la Francophonie qui sera logé dans le château de Villers-Cotterêts.

Alain Lavallée,

PS: afin de découvrir comment la francisation s’est développée en Nouvelle-France grâce aux Filles du Roy Louis XIV et aux soldats du Régiment de Carignan-Salières  on peut lire le billet «  »La France au secours de l’Amérique » »sur ce blogue « Québec en Amériques »

https://alainlavallee.com/la-france-au-secours-de-lamerique-francaise-350e-anniversaire/

et pour mieux connaître les relations avec les Autochtones dans le Canada devenu britannique après 1763.. voir le billet  :  Quel âge a le Canada ?  150 ans ?

https://alainlavallee.com/quel-age-a-le-canada-150-ans/