Au cours de la décennie 1530, François I er entreprend deux grands chantiers. D’une part, il s’attaque à bouleverser les règles du partage du monde. Il oeuvre à étendre la France vers le Nouveau Monde, vers les Amériques en y fondant une colonie à Cap-Rouge, en amont de Québec.
D’autre part, il s’attache à centraliser les pouvoirs et ordonnancer le fonctionnement de l’État français. Il édicte et signe au château de Villers-Cotterêts en août 1539 une ordonnance, aujourd’hui connue sous le nom d’Ordonnance de Villers-Cotterêts. Cette loi d’envergure marque les ambitions du roi François 1 er. Par cette ordonnance, ce bâtisseur a centralisé les pouvoirs de diverses manières : il a réduit ceux des villes et de l’Église, et fait du français la langue de l’administration et de la justice, tout en rendant obligatoire la tenue des registres de baptême, etc. Cela marque les débuts de l’état civil, et le français remplace le latin.
Une Nouvelle-France apparaît sur les cartes
Le Pape Alexandre VI, par le Traité de Torsedillas en 1494, avait conféré à l’Espagne et au Portugal le monopole du partage de toutes les découvertes territoriales qui se feraient dans les Amériques suite aux explorations de Colomb (1492).
Au nom de la France, François 1er a entrepris de contester ce partage du Nouveau Monde. Dans un premier temps, il a envoyé Verrazzano en 1524 explorer la côte est de l’Amérique du Nord, de la Floride au Cap-Breton. On vît alors apparaître le nom de Nouvelle-France sur les cartes de l’Amérique comme s’il y avait eu une prise de possession (Nova Gallia).
François 1er poursuit ses visées de nouveaux territoires. Des démarches sont menées auprès du Pape. En 1533, l’évêque de St-Malo, cousin de l’explorateur Jacques Cartier, obtint du Pape Clément VII une déclaration excluant du partage de Tordesillas « les terres non encore découvertes » par l’Espagne et le Portugal.
La France se fait une place en Amérique: «découverte» et première colonie française
Cette déclaration papale ouvre la voie aux deux voyages d’exploration-découverte de Jacques Cartier dans le golfe et le fleuve St-Laurent, 1534 et 1535-36. Sur les cartes d’Amérique, l’appellation Nova Francia, puis Nouvelle-France, succède à Nova Gallia. Les voyages de Cartier ayant été fructueux, le projet d’implanter une colonie est envisagé, mais retardé par une guerre entre la France et l’Espagne. Néanmoins un devis prévoyant les approvisionnement pour l’établissement d’une colonie de 276 personnes est rédigé en 1538. Le site de l’implantation est décidé en 1539, un peu en amont de Québec. Celle-ci est programmée pour 1540.
À l’automne 1540, on planifie que 2 flottes distinctes partiront. Jean-François de la Rocque, sieur de Roberval, un militaire de renom, de surcroît ingénieur des fortifications et des mines est nommé à la tête de l’expédition. Il s’occupera de gestion et de défense. Jacques Cartier pourra de nouveau se concentrer sur l’exploration.
Tout en visant à faire sa place en Amérique, la France cherche à savoir si le St-Laurent, déjà exploré en partie par Cartier, mène à l’Asie. De plus, on veut vérifier s’il y a des métaux précieux en abondance comme le Mexique (1520) et le Pérou (1532) l’ont révélé aux Espagnols ?
Puis en Europe, l’Angleterre s’allie à l’Espagne et déclare la guerre à la France.
Le roi François 1er ordonne à l’éminent militaire qu’est Roberval de rentrer en France avec tous ses soldats et habitants de la colonie. Ce qu’il fera en septembre 1543. Roberval espérait revenir dans sa colonie d’Amérique, mais François 1er décède en 1547 et son successeur Henri II s’intéressera plutôt au Brésil. Le départ de 1543 se révélera un abandon définitif de la colonie de Cap-Rouge.
Tant et si bien que cette colonie qui fut implantée au début des années 1540, même si elle était bien connue des historiens, parce que non commémorée, marquât de moins en moins les esprits. Toutefois, la découverte en 2005 à Cap-Rouge, près de Québec, du site de cette colonie, et les fouilles archéologiques et recherches historiques qui ont suivi, ont permis de poser un éclairage nouveau sur les débuts de la Nouvelle-France d’Amérique.
La colonie de Cap-Rouge (1541-1543): une réussite sous certains aspects
Cette mission coloniale sous certains aspects fut une réussite scientifique, politique et économique comme le montre les recherches de l’historien Bernard Allaire publiées en 2013 («La rumeur dorée: Roberval et l’Amérique»). Dorénavant, les Français savent qu’ils peuvent vivre ici mais que les pierres et métaux précieux n’y sont pas faciles d’accès. On a exploré davantage le grand fleuve, on espère toujours qu’il mène vers l’Asie. En installant une colonie, celle-ci serait bien placée sur la route des biens entre l’Asie et l’Europe.
Par cette implantation de grande ampleur, la France devient la 3e puissance à s’inscrire dans le domaine colonial des Amériques aux côtés de l’Espagne et du Portugal (réussite politique). La France y a gagné un droit d’accès à une vaste région du Nord de l’Amérique.
On peut maintenant mieux répondre à la question : « que s’est-il passé entre les voyages d’exploration-découverte de Cartier (1534) et la fondation de Québec en 1608 ? ». Entre Cartier, 1534-36 et l’établissement de Champlain (1608), pendant des décennies, les marins et commerçants français auront accès à un vaste territoire. Dès le milieu du XVIe siècle en provenance d’une quarantaine de ports français, quelques centaines de navires comptant quelques milliers de marins viendront chaque été sur les côtes du golfe et du fleuve (Bretons, Basques, Saintongeais…). Sur les plages, nombre d’entre eux installent des établissements saisonniers (sécher la morue, fondre la graisse de baleine). Certains font le troc des fourrures avec les Amérindiens.
La période entre 1543 à 1608, paraissait comme une période vide, un délai. On sait aujourd’hui que ce fut une période fort active d’échanges où les ressources (poissons, baleines, fourrures) étaient prélevées sans que la France ait à défrayer les coûts d’un établissement permanent : sage décision économique.
Alors qu’en 1540 les Français, sous la direction de Roberval, avaient une attitude de conquistador, les quelques décennies de contact interculturel qui ont suivi le départ de Roberval, auront permis une certaine connaissance de l’autre. Si bien qu’en 1603, au cours d’une cérémonie diplomatique à Tadoussac où Samuel Champlain était présent, les Amérindiens ont consenti à ce que les Français viennent peupler leurs terres , à la condition de les aider combattre à leurs côtés leurs ennemis iroquois.
Ce délai dans l’implantation permanente s’est donc avéré une sage décision culturelle. La Nouvelle-France, le Canada de Samuel Champlain en 1608, pris la forme d’une alliance franco-amérindienne alors que les colonisateurs espagnols et britanniques ont adopté des attitudes visant plutôt à la domination du monde amérindien.
(Sur cette question des relations différentes entre Français et Amérindiens versus le comportement des Anglais et des Espagnols: lire le billet «une Amérique Franco-Amérindiennes 1603-1803″» sur ce blogue )