De juin à septembre 1665, il y a 350 ans, 1300 soldats du régiment de Carignan-Salières sont arrivés en Nouvelle-France. Ils étaient envoyés par le Roi de France, Louis XIV, afin de contrer la menace iroquoise qui mettait en péril la survie même des établissements français en Amérique.
Partis de La Rochelle, ces contingents de soldats du régiment de Carignan-Salières sont accostés à Québec à l’été 1665. Leur séjour a duré 3 ans mais leurs actions ont contribué à donner une impulsion définitive aux conditions d’un enracinement francophone en Amérique.
Une Amérique française sous le signe des alliances amérindiennes, mais… les Iroquois
Avant même la fondation de Québec, soit en 1603, une délégation diplomatique de France, dont Samuel Champlain faisait partie, avait fait alliance avec les peuples algonquiens à Tadoussac. Ces derniers avaient consenti à ce que les Français viennent peupler leurs terres à la condition qu’ils les aident à combattre leurs ennemis Iroquois. Ce que Champlain fit en 1609, après la fondation de Québec, lorsqu’il accompagnât les peuples algonquiens dans une expédition guerrière menée au sud du lac (aujourd’hui nommé) Champlain, en territoires iroquois.
Vivement contrariés par les fondations de Montréal en 1642 et de Trois-Rivières en 1634, les Iroquois menaient régulièrement des attaques dans nos établissements, capturant et tuant des colons français.
Fragilisée par ces attaques la survie de la Nouvelle-France était menacée, d’autant plus qu’elle souffrait de faiblesse démographique. Préoccupées par la traite des fourrures, les compagnies se souciaient peu de l’installation de nouveaux colons. De plus, la croissance démographique était handicapée par un déséquilibre. Il y avait un ratio d’environ trois hommes pour une femme.
En 1661, les autorités de la Nouvelle-France ont confié à Pierre Boucher, alors Gouverneur des Trois-Rivières, la mission d’aller plaider la cause de la Nouvelle-France auprès du roi Louis XIV.
Ces demandes ont été entendues. Pierre Boucher revint en 1662 accompagné de 100 soldats et 100 colons. Mais plus important, Louis XIV a mis en branle un vaste programme pour assurer la survie et la croissance de la Nouvelle-France: préparation d’un envoi majeur de plus de 1000 soldats, envoi de contingents « d’orphelines du roi » pendant une décennie et enfin une réforme administrative et politique majeure. À partir de 1663, la Nouvelle-France ne relève plus de compagnies de commerce et devient une colonie royale. Un Conseil souverain de la Nouvelle-France est créé, soit un gouvernement qui s’occupera de l’Administration (Gouverneur, Intendant, Conseillers…).
Construire un réseau de forts : assurer la paix
1300 soldats arrivèrent au pays à l’été 1665. Le régiment de Carignan-Salières était constitué de 20 compagnies, d’environ 50 soldats chacun, auquel se sont joint quatre compagnies du marquis de Tracy qui parties de La Rochelle elles aussi sont passées par les Antilles avant de rallier Québec.
Dès leur arrivée, plusieurs compagnies sont envoyées dans la vallée du Richelieu. Cette rivière (alors appelée rivière aux Iroquois) était la voie empruntée par les Iroquois pour venir attaquer les établissements de Trois-Rivières et Montréal principalement.
Les soldats y construisirent cinq forts : le fort St-Louis (Chambly), puis les forts de Richelieu (Sorel), Ste-Thérèse (Carignan), Ste-Anne (île La Mothe au Vermont) et l’Assomption (St-Jean-sur-Richelieu). Afin que les troupes puissent rallier Montréal directement, ils ont aussi construit un chemin à partir du fort de Chambly, qui traverse tout Longueuil et rejoint le fleuve face à Montréal, le Chemin de Chambly. (À cette époque, Montréal portait le nom de Ville-Marie.)
Afin de protéger Trois-Rivières, les soldats de Carignan-Salières ont aussi construit un fort en amont de Trois-Rivières à l’embouchure de la rivière du Loup et du fleuve (Louiseville).
En 1666 et 1667, le régiment de Carignan-Salières accompagné de colons volontaires et d’Amérindiens alliés ont mené deux attaques contre les Iroquois au sud du lac Champlain. Ces deux incursions militaires en territoire iroquois ont mené à la signature de traités de paix entre la Nouvelle-France et les Iroquois. Mission accomplie, il en résultera 15 ans de paix.
En 1668, la majorité des soldats ont été rappelés en France. Mais entre 1665 et 1668, plus de 200 soldats sont morts.
Filles du Roy et Soldats de Carignan-Salières : peuplement et francisation
Encouragés par le roi, près de 400 soldats se sont installés ici. Ils ont laissé leurs noms à une vingtaine de municipalités au Québec (Chambly, Sorel, Tracy, Carignan, Varennes, Verchères, Contrecoeur, Berthier, Lanoraie, Lavaltrie, Boisbriand, La Pocatière, Lanaudière…).
285 se sont mariés ici, dont plus de la moitié avec des Filles du Roy. Rappelons que pour pallier le déséquilibre démographique, à partir de 1663, à chaque année durant 11 ans, un contingent de jeunes femmes, orphelines pour la plupart, ont émigré en Nouvelle-France, soit au total 770 personnes. Leur traversée était payée par le roi qui leur accordait aussi une petite dot (généralement entre 50 et 100 livres). En France, les orphelins accueillis dans les institutions de l’état étaient nommés enfants du roy. Sœur Marguerite Bourgeois qui accueillait les orphelines à Montréal, les a nommées filles à marier, puis Filles du Roy.
Les familles nombreuses auxquelles les Filles du Roy ont donné naissance ont apporté une impulsion définitive au peuplement de la Nouvelle-France. Trois Québécois d’origine française sur quatre ont au moins une ancêtre qui était une Fille du Roy et une bonne partie des Québécois compte au moins un ancêtre qui était du régiment de Carignan-Salières.
Grâce aux Filles du Roy, et à la complicité des soldats et officiers de Carignan-Salières, le français est devenu la langue maternelle commune dès la fin du XVIIe siècle, bien avant qu’il ne se répande dans les régions de France. Près de la moitié d’entre elles étaient originaires de Paris et sa région. Même si 3 pères sur 5 parlaient des patois poitevins, charentais, normands… une francisation s’est rapidement déployée, mâtinée en ses débuts d’expressions poitevines, charentaises, normandes.
Nous avons d’abord déployé une Amérique franco-amérindienne, puis depuis quatre siècles nous déployons en Terre d’Amérique un rameau humain porteur d’une culture francophone originale, qui mérite d’être partagée par ceux que nous accueillons et qui mérite de se donner les conditions de se déployer et de continuer à créer.
PS :
Des événements soulignent ce 350e au Québec (exposition au Château Ramezay de Montréal, colloque à la Grande Bibliothèque le 7 novembre, etc.) et en France. La ville de La Rochelle a souligné ce 350e le 15 mai dernier en lançant un parcours de lieux de mémoire appelé « Les chemins du Québec »