Élections canadiennes en octobre: illusion du vote stratégique

La très longue campagne électorale est en cours depuis 8 semaines, mais en ce début d’octobre, la dynamique a changé et les 3 dernières semaines vont être déterminantes. Des sondages Abacus et Nanos incitent à penser que la vague orange se dégonfle au Québec et confirment que le NPD s’enfonce vers une 3e place au Canada.

Des sondages avaient localisé le NPD en haut de 40 %, voire à 47 %, mais après le premier débat en français, le 24 septembre, le panel de Nanos a enregistré le NPD à 35,6 % puis le sondage Abacus du 28 septembre l’a situé à 30 %, et placé les Libéraux à 24 %, les Conservateurs à 21 % et le Bloc à 20 %.

La Presse plus a titré « Une soirée sans gagnant », mais le premier débat en français aura été un tournant. Curieusement, il faut consulter CBC (anglais) pour découvrir un sondage vox populi sur ce débat, et constater que Gilles Duceppe chef du Bloc avait, selon 29 % des répondants québécois, gagné ce débat (20 % Harper, 18 % Mulcair, 8 % Trudeau).

Une nouvelle campagne débute, car avec le NPD à 30 % au Québec et le Bloc à 20 %, le sondeur Bryan Breguet écrit que chaque point de % du NPD perdu en faveur du Bloc pouvait coûter 5 sièges au NPD. Dans son calculateur, si le BLOC passait à 23 %, il compterait alors une douzaine de députés et serait un parti reconnu à Ottawa. Vous pouvez calculer s’il montait à 30 %. Mais rien n’est joué. Sondage douteux et informations tendancieuses peuvent s’inviter à nouveau, comme lors des premières semaines de la campagne.

Sondage(s) douteux ?

La maison CROP a produit pour le NPD un sondage que des médias du Canada anglais ont qualifié de douteux (« dubious »), dont les échantillons auraient été biaisés (« skewed »). Selon eux, CROP a causé du tort à la crédibilité de l’industrie du sondage. Curieusement dans les médias francophones du Québec à l’exception du Devoir, ces manques ont été peu soulignés.

-sondage CROP-NPD dans Papineau (comté de Justin Trudeau)

Le 17 septembre, le NPD a « coulé » un sondage interne produit par CROP sur les intentions de vote dans Papineau. Justin Trudeau y aurait accusé un retard de 11 % sur la candidate du NPD (35 % vs 46%).

Toutefois, des indices permettent de douter de la crédibilité de ce sondage. Le Devoir a noté que des pages du sondage CROP n’avaient pas été transmises aux médias. Après avoir obtenu ces infos d’une autre source, il a constaté que l’échantillon était biaisé, défavorisant le Bloc Québécois et les Libéraux. L’échantillon comptait seulement 14 % de personnes ayant voté Bloc québécois en 2011, alors que le Bloc avait récolté 26 % des voix, et seulement 14 % ayant voté Libéral, alors que Justin Trudeau avait reçu 38 % des votes en 2011. Par contre, les électeurs NPD étaient surpondérés : il y en avait 32 % dans l’échantillon alors que 28 % avaient voté NPD en 2011.

Autre élément douteux, l’échantillon de CROP comptait 31 % d’hommes et 69 % de femmes (117 vs 228), alors que le comté de Papineau compte autant d’hommes que de femmes (49,9 % vs 50,1 %). Pourtant CROP indiquait avoir « pondéré la distribution de la population selon le sexe » : bizarre.

Enfin, le nombre de répondants étant peu élevé (375), la marge d’erreur est élevée (plus de 5 %). Résultat, l’écart de 11 % entre Trudeau et la candidate NPD est presque dans la marge d’erreur. Le lendemain un sondage de Mainstreet comptant sur un échantillon deux fois plus volumineux (783) donc marge d’erreur plus faible, donnait une avance de 5 % à Justin Trudeau.

Des médias francophones ont relayé les infos « douteuses » du sondage CROP-NPD en écrivant que Trudeau serait « en danger » dans son comté, sans vérifier ou comparer.

-Sondage CROP-NPD dans la circonscription de Gilles Duceppe

Qu’en est-il alors du sondage publié deux semaines plus tôt (1 sept), qui plaçait Gilles Duceppe, chef du Bloc Québécois, loin derrière la candidate du NPD (57 % vs 20 %). Même couple sondeur-commanditaire, CROP-NPD, peu de répondants, 377, donc marge d’erreur élevée, pas d’infos transmises sur le profil des répondants. Un autre sondage douteux ? Les médias ont publié « Duceppe en difficulté » « en danger », sans trop questionner la crédibilité du sondage, qualifié d’interne lui aussi, mais que le NPD s’était empressé de faire diffuser dans les médias. Dans quel but ?

Stratégie politique du NPD pour inciter au « vote stratégique » en leur faveur ?

Selon Joan Bryden (Globe and Mail, 19 sept), les buts recherchés par le NPD de Mulcair avec le sondage dans Papineau  « étaient de briser la triple égalité (Libéraux, conservateurs et NPD) au niveau canadien et de persuader les Canadiens de ne pas perdre leur vote «en misant sur le Parti Libéral dont le chef ne pouvait même pas se faire élire dans son comté (traduction libre) »

Or suite au retour de Duceppe à la tête du Bloc, les sondages Léger et CROP avaient montré que le Bloc avait grimpé d’une dizaine de points (soit de 12-15 % à 25-26 %) menaçant les votes de la vague orange. Ce sondage interne CROP-NPD a pu s’inscrire dans la même stratégie du NPD (décrite par Joan Bryden), soit viser à convaincre les Québécois de ne pas « perdre » leur vote en misant sur le Bloc Québécois, un parti dont le chef serait battu à plate couture, si on croyait aux données du sondage CROP-NPD. Par ces sondages, le NPD aurait tenté de gonfler sa vague orange en voulant faire croire que seul lui pouvait vaincre Harper, et lui seul méritait de s’attirer le vote « stratégique » pour cela il fallait au Québec : d’une part, étouffer la remontée du Bloc en visant son chef et d’autre part s’attirer le vote libéral en visant son chef. (Une stratégie de « guerilla polling », selon une maison de sondage concurrente)

Vote stratégique ou vote authentique ?

Depuis quelques semaines, les sondages pointent vers un prochain gouvernement du Canada qui sera minoritaire. Suite à l’ajout de 30 nouvelles circonscriptions au Canada, le Québec n’a plus que 78 représentants sur un total de 338. Cette réalité a moussé tout le discours autour du vote « stratégique », en invitant les Québécois à voter massivement pour le NPD et répéter la vague orange de 2011.

Cette vaste fumisterie-marketing du vote stratégique a ouvert la porte à des tactiques douteuses de sondage et encouragé le fleurissement des titres accrocheurs, voire tendancieux dans certains médias.

Finalement cette longue, très longue campagne et le premier débat en français ont permis aux Québécois de découvrir que le vote stratégique les mènerait à soutenir ce à quoi la majorité d’entre eux s’opposent. Alors il vaut mieux voter authentique que se faire piéger par un vote stratégique, dont on ne peut prévoir les conséquences au niveau canadien.

Votez authentique :

si vous pensez que le Québec ne doit pas transformer son fleuve en autoroute à pétroliers et ne doit pas favoriser l’exportation d’un pétrole polluant, en acceptant la construction de l’oléoduc Energy East , votez pour protéger la planète et le Québec. Ne votez pas Conservateur, Libéral, NPD, mais Bloc Québécois, ou Vert.

Si vous pensez que certains gestes citoyens au Québec et Canada doivent se faire à visage découvert, ne votez ni NPD, ni Libéral, ni Vert.

Si vous êtes fédéraliste canadien avant tout, votez pour un parti fédéraliste. Si vous êtes souverainiste québécois. Votez Bloc québécois.

Et ainsi de suite… à vous d’arbitrer vos priorités et valeurs.

En votant authentique, vous n’opterez pas pour l’illusion que c’est vous qui décidez qui formera le prochain gouvernement du Canada, mais au moins vous aurez voté en accord avec ce que vous jugez rationnel et ce qui vous tient à coeur.