Francophonie et préservation de la diversité culturelle : une saine prudence écologique

par Alain Lavallée

La francophonie:

Vendredi après-midi le 15 août, une des nombreuses activités de l’École d’été de l’Institut du Nouveau Monde se déroulait dans les jardins de l’Espace 400e : au programme, le thème « Visions d’avenir sur la francophonie ». De courtes mises en situation jouées par de jeunes comédiens préparaient le terrain pour des conférenciers qui ont présenté leur vision du rôle de la francophonie. Le tout était suivi d’échanges avec le public.

Un conférencier du Bénin a d’abord raconté comment avec l’aide technologique et financière de la Francophonie (O.I.F.), il avait pu mener à bien la numérisation d’un grand nombre de documents d’archives, tant audio, que visuels ou textuels de diverses communautés béninoises. Cette sauvegarde de la mémoire collective, du patrimoine culturel est précieuse pour les Béninois.

Un second rôle important de la francophonie tient au fait que dans nombre de pays africains, plusieurs langues coexistent et aucune d’entre elles ne peut se proclamer comme étant une langue nationale. Par exemple au Cameroun, il y a plus de 300 langues et dialectes parlés par une trentaine d’ethnies que le gouvernement regroupe en 9 grandes zones linguistiques. Pour un bon nombre de ces ethnies et zones linguistiques, le français joue alors le rôle de langue commune de communication.

Préserver la diversité culturelle et promouvoir le français comme langue de communication entre les peuples et cultures, tel est le premier objectif de l’Organisation internationale de la francophonie (O.I.F.), cette Francophonie institutionnelle qui tiendra son sommet bisannuel à Québec à la mi-octobre dans le cadre du 400e de Québec.  Il regroupera une cinquantaine de chefs d’État.

Le présent billet nous permettra d’aborder trois aspects de cette francophonie internationale et de son avenir. Le premier aspect, souligné par le conférencier béninois, est la diversité culturelle et son respect comme étant une saine précaution. Le second aspect est l’importance du français comme langue de culture et de communication internationale. Un troisième aspect sera abordé, à savoir l’anglobalisation (« globishness ») est-elle inéluctable, est-elle souhaitable ?

I – La diversité culturelle a besoin de la diversité linguistique :

     le respect du principe de précaution

Le 18 mars 2007 entrait en vigueur la « Convention sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO ». Face à une mondialisation économique dont les traités limitaient de plus en plus la capacité des États démocratiques à légiférer dans le domaine culturel, les pays de la francophonie ont joué un rôle important dans l’élaboration de cette convention visant à protéger et promouvoir la diversité culturelle.

Bien que le préambule de la Convention énonce que « la diversité linguistique est un élément fondamental de la diversité culturelle », la diversité linguistique n’est pas directement protégée par cette convention. Elle l’est indirectement puisque les « expressions culturelles » (films, livres, radio, disques, etc.) peuvent faire l’objet de législations par les États (Fréchette, 2008).

Dans notre billet sur les « langues et sonorités autochtones du Québec (20 juillet) » nous avons montré qu’une langue vivante est beaucoup plus qu’un simple outil que l’on pourrait changer n’importe quand sans qu’il n’y ait de conséquences. Une langue est beaucoup plus qu’un simple code qui ne transmettrait que des « bits », qu’une fibre optique où ne circulerait que des quantités neutres d’information.

Chaque langue maternelle contribue au tissage complexe qui forme l’individu, sa communauté et son peuple. Les langues engramment l’histoire des peuples. Elles sont porteuses de sens, elles sont expressions culturelles.

Qu’elle soit attikamek, finlandaise, chinoise, etc., la langue est d’une importance fondamentale. Les caractéristiques particulières de chaque langue influent sur la manière de traduire le monde, de le concevoir, de le penser comme l’illustrent ces trois brefs exemples.

1- Je reprends ici l’un des exemples du billet du 20 juillet sur les langues amérindiennes. Dans la langue bororo, il n’y a que quatre mots désignant les quantités: « un », « deux », « quelques-uns » et « plusieurs » (comme si cette langue souhaitait désigner l’individu, l’accouplement, la famille puis la communauté). Connaissant cette caractéristique, pensez-vous qu’une culture bororo aurait pu inventer les comptabilités, les calculs de coûts réalisés dans nos économies contemporaines? (autres exemples dans le billet « langues et sonorités autochtones du Québec »)

Nous pouvons voir dans ce mode de numération sommaire, caractéristique de la langue bororo, un des nombreux effets de l’absence de techniques d’écriture. Mais cette absence de l’écrit a aussi été le lot de toutes les cultures amérindiennes au nord du Rio Grande. Au sein de ces cultures de l’oralité, où la mémoire collective ne pouvait se reposer sur l’écrit, l’énumération de listes comportant une grande quantité d’éléments posait problème au sein de ces cultures orales.

Les capacités de traitement de la mémoire à court terme de l’être humain sont limitées. En conséquence, les cultures orales et populaires ont vu fleurir la multiplication de ces courtes listes qui peuvent être mémorisées  par l’être humain moyen : les 7 merveilles du monde (alors qu’il y en a probablement 777 777), les 7 péchés capitaux, les 7 commandements de l’Église, les 7 vies d’un chat, le don accordé au 7e enfant du même sexe, etc. (en un mot « the magical number 7 » comme l’a écrit Miller).

2- Second exemple, tout le monde a entendu cette idée que l’Orient et l’Occident avaient élaboré au cours des millénaires des philosophies, des manières de penser différentes… Cette question est très complexe, mais un des éléments qui joue un rôle dans l’élaboration de ces visions du monde réside dans les caractéristiques différentes des techniques d’enregistrement de ces langues.

La plupart des langues d’Occident sont transcrites à travers des écritures phonétiques (ex: l’alphabet de 26 caractères) qui n’ont aucun rapport avec la représentation du réel. Alors que des langues d’Orient comme le mandarin chinois et le japonais sont des langues transmises à travers des caractères (les « kanji ») qui illustrent schématiquement le réel.

Par exemple, il y a un caractère kanji de la langue japonaise qui lorsqu’on le dessine représente le pictogramme (ou le mot si vous préférez) qui désigne un « arbre ». Il s’agit d’une esquisse graphique d’un arbre. Si on reproduit 2 fois ce caractère côte à côte, on dessine le pictogramme du « bosquet ». Si on le reproduit 3 fois, on obtient le pictogramme  de la « forêt ». D’une certaine manière les caractères kanji présentent une esquisse visuelle du réel: la forêt compte plus d’arbres que le bosquet, lui-même étant constitué de plus d’un arbre. Peu importe l’objet à désigner (ex: maison), les kanji sont des esquisses illustrant d’une certaine manière le réel désigné, l’objet, même si celui-ci s’est radicalement schématisé au cours des siècles de pratique pictographique.

Dans notre alphabet, les mots arbre, bosquet et forêt n’ont aucun lien de similitude avec ce que chacun de ses mots représente (abstraction totale). Afin de traduire le monde, d’en dégager une intelligence, de le concevoir, l’Orient et l’Occident ont eu recours pendant des siècles à des « technologies d’enregistrement des connaissances et des informations sur le monde» qui étaient radicalement différentes. Pas si étonnant que l’on ait observé au cours des siècles des productions culturelles différentes (il ne s’agit pas pour moi de prouver ici que la langue et la technique de traitement et d’enregistrement des connaissances « déterminent » quoi que ce soit, mais plus modestement de souligner que la langue et les technologies d’enregistrement auxquelles l’être humain a accès pour enregistrer et partager ou transmettre des informations peuvent influer sur sa « vision » du monde, sur son « intelligence du monde ».

(pour une initiation et illustration minimaliste des caractères kanji :
http://fr.wikibooks.org/wiki/Japonais/Kanji/Leçon_1

3- Si vous lisez une traduction d’un volume français en anglais ou vice versa vous constaterez que la version française est en général un peu plus longue que la version anglaise. La langue française appelle à une plus grande précision que la langue anglaise (entre autres parce que pendant des siècles cette langue a été « normée », soumise à la rigueur d’une Académie qui statuait sur ce qui était un usage correct…).

La langue anglaise est plus approximative. L’apprentissage du français est ainsi perçu comme étant plus exigeant. L’envers de la médaille, c’est que la langue française permet une plus grande rigueur et une plus grande précision. Au-delà de sa sonorité, cela constitue une partie de sa beauté et la dote d’une plus grande capacité et aptitude à décrire la complexité croissante du monde à l’intérieur duquel nous vivons. En ce sens, le français est utile pour nommer et décrire la complexité actuelle du monde, particulièrement dans les sciences humaines et sociales.

Ces trois courts exemples illustrent pourquoi la langue n’est pas un simple outil qu’un individu, une communauté ou un peuple pourraient changer sans qu’il en résulte des conséquences, des changements culturels importants.

Des langues qui meurent c’est une perte pour l’humanité, plus grande peut-être que la perte d’une espèce de poisson, ou d’une espèce de plante. La disparition d’une langue, c’est la perte de possibilités de voir émerger des penseurs, des conteurs, des philosophes, des gestionnaires, des ingénieurs, des artistes qui auraient pu éclairer différemment notre relation au monde (et peut-être apporter des solutions originales aux problèmes actuels, des inventions originales, des œuvres d’art originales). La civilisation maya avait développé une écriture à la fois phonétique et pictographique. La destruction de la mémoire, des écrits des Mayas et de la connaissance de cette langue par les conquistadores a été une grande perte pour l’humanité. Ils nous auraient aidé à mieux comprendre la rencontre entre Européens et Américains (Amérindiens si vous préférez).

Il est important de parler sa langue maternelle de culture à laquelle on peut ajouter une langue passerelle (ou deux, ou plus, selon ses goûts et ses talents) qui peut servir à communiquer.

II – Le français :     

         langue de culture et langue de communication internationale
Sur la scène internationale, le français est perçu comme une langue universelle de culture. Selon l’indice composé mis au point par le British Council, le français serait la troisième langue la plus influente dans le monde, après l’anglais et l’allemand (Plourde, 2008). Il existe quelques milliers de langues sur la planète.

De plus, comme langue passerelle (ou langue de communication) le français et l’anglais sont les deux seules langues internationales utilisées par toutes les grandes institutions internationales (ONU, UNESCO, OIT, OTAN, CIO, CICR, OMC, FAI, …). Il va de soi que l’ONU utilise six langues, l’Organisation internationale du Travail en utilise trois, l’OTAN quatre, etc., mais dans tous les cas le français et l’anglais sont présents. C’est donc une chance inouïe que nous avons au Québec, comme « petite nation », de parler une langue largement reconnue au niveau international et d’avoir accès en français aux sites internet et informations de ces grandes organisations. Les Bulgares, les Tchèques, les Suédois, les Finlandais qui ne sont pas plus nombreux que les Québécois parlent des langues régionales, alors que le français notre langue de culture est aussi une langue de communication internationale. La langue française est de plus l’une des deux seules langues de communication internationale parlées sur les cinq continents.

On lit souvent que les nouvelles technologies imposeraient la nécessité d’apprendre l’anglais, que l’anglobalisation (« globishness ») serait inéluctable. Au cœur de ces nouvelles technologies de l’information, il y a bien entendu le réseau internet et son usage qui s’étend sur la planète telle une traînée de poudre. Qu’en est-il du lien entre l’internet et l’usage de l’anglais vs les autres langues?

 

Un rapport de l’UNESCO (2008)  qui a minutieusement étudié l’évolution de la diversité linguistique dans l’internet depuis douze ans  (Pimienta, Prado et Blanco, « Douze années de mesure de la diversité linguistique sur l’internet : bilan et perspectives ») constate que depuis plus d’une décennie, les médias colportent une information fausse, à savoir que l’anglais représenterait 80 % du contenu d’internet. Cette information fausse est aujourd’hui devenue un problème majeur, car tous pensent qu’elle est vraie, et elle constitue une véritable désinformation. Alors qu’au contraire, on assiste dans internet à une progression ininterrompue du plurilinguisme.

En 1992, dans les mois suivant la création du réseau internet, 100 % des pages étaient en anglais.  Toujours largement majoritaire en 1998 (75 %), la part de l’anglais a diminué à 60 % en 2000, à 47 % en 2005 et était  inférieure à 40 % en 2008 (p. 19 et ss). Depuis ce temps la progression importante des langues chinoise et russe, dans le cyberespace, a continué de faire reculer l’anglais. Fait significatif, le contenu en anglais de l’encyclopédie Wikipedia ne compte plus que pour 23 % des contenus.

La réalité du cyberespace est celle d’un progrès continu du plurilinguisme planétaire, qui s’accompagne d’une progression des moteurs de traduction instantanée.

La situation change rapidement. La progression du multilinguisme s’accélère au sein de ce grand réseau des réseaux. Aux côtés de l’anglais, les grandes langues universelles comme le français, l’espagnol, l’allemand, le russe font leur place tout comme sur la planète où elles ont déjà leurs espaces géographiques et culturels, leurs aires d’influence et leurs réseaux de communication. Le rapport note que dans la production de matériel en français, le Québec a joué un rôle de pionnier, mais que depuis 2005, la France investit massivement internet, haussant la part du contenu francophone.
Internet peut poser un problème pour les langues nationales qui sont peu diffusées à l’extérieur d’un pays (le hongrois, le tchèque, le norvégien, le finlandais, etc. ) ainsi que les langues autochtones d’Afrique et d’Amérique. La masse critique de documents diffusés dans ces langues risque de demeurer faible. Lorsque les membres d’une de ces cultures souhaitent s’ouvrir sur l’extérieur, ils doivent s’approprier une ou deux langues de communication. C’est là qu’entrent en jeu les grandes langues internationales. Elles reprennent leur place et se déploient dans des réseaux de proximité, des réseaux d’intérêts géopolitiques communs, des aires d’influence réciproque. Il y a l’aire d’influence russe. Il y a le Commonwealth, une association de pays de langue anglaise qui fait la promotion de l’anglais. Il y a une organisation qui réunit autour du Portugal, les pays lusophones. Il y a une association qui réunit des pays d’Amérique autour de la langue espagnole et bien sûr il y a la Francophonie institutionnelle (OIF) qui regroupe une cinquantaine d’états et pays. Il est important pour la diversité culturelle planétaire que de grandes zones de diversité et d’échanges culturels puissent être préservées.  En aucun cas l’existence d’internet ne conduit à un impératif d’uniformisation linguistique, à une anglobalisation qui serait inéluctable.

– le « globish » vs la traduction automatique des langues


Petite anecdote, en naviguant sur la toile, j’ai eu la surprise de retrouver certains des textes de mon blogue « Québec en Amériques » entièrement en allemand, en néerlandais, en anglais, en chinois mandarin (le texte sur le spectacle de McCartney, le texte sur la fête de l’amitié autochtone, etc.). Google a des outils de traduction automatique que les internautes utilisent. Je ne sais pas si ces traductions en allemand, en nérlandais et en chinois étaient fiables, mais je sais que la qualité de ces outils progresse très rapidement. Cette capacité de traduction évolue si rapidement que Michael Dertouzos du MIT pense que dans des domaines comme le commerce entre autres la traduction automatique sera appelée à jouer un rôle grandissant, en particulier dans le commerce. Elle pourrait remplacer d’ici une décennie ou deux, l’usage du «globish ».  Voici un exemple d’usage de la traduction automatique selon Dertouzos :

« Un grossiste en fruits et légumes de l’Europe du Nord émet un  formulaire électronique de demande de soumissions : il est à la recherche de 100 tonnes d’oranges – qualité et taille particulières – à livrer le lendemain. (Grâce à la technologie), le formulaire est instantanément traduit en grec, en espagnol et en italien (…) à l’intention des fournisseurs du bassin méditerranéen. Ces derniers examinent la demande (…) et quelques minutes après, l’affaire est conclue. (cité dans Plourde, 2008) »

Dans cette société d’information qui se déploie, le français est la deuxième langue la mieux outillée, après l’anglais pour naviguer dans le cyberespace ou traiter l’information.
Le tout à l’anglais est une approche qui apparaît de plus en plus dépassée dans le monde des technologies de l’information contemporaines qui se déploie actuellement. Nous évoluons de plus en plus vers des technologies de traduction, quasi-instantanée et à faible coût.

 

Par exemple, le groupe japonais NEC a développé une paire de lunettes capable d’afficher du texte traduit en quasi temps réel. Ainsi il est possible d’envisager que d’ici la fin de la décennie 2010, quelqu’un puisse parler dans sa langue et comprendre et être compris par un locuteur s’exprimant dans une autre langue grâce au système que NEC développe actuellement…

 

http://www.numerama.com/magazine/14489-au-japon-des-lunettes-permettent-de-traduire-en-direct.html

Autre exemple,
Google est en train de développer un logiciel de traduction automatique en temps réel pour téléphone mobile qui permettrait à deux personnes de communiquer par téléphone sans parler la même langue. Déjà la traduction texte-à-texte de Google progresse et selon Franz Och, le directeur des services de traduction chez Google  la technologie voix-à-texte «  »avance à grands pas dans le bon sens » »:

 

«Nous pensons que la traduction voix-à-voix devrait être possible et devrait fonctionner assez bien d’ici quelques années».

http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/telecoms-et-mobilite/201002/09/01-947906-un-telephone-qui-traduirait-6000-langues-en-temps-reel.php

 

III    -l’anglobalisation

 

une vision de courte vue incompatible avec une saine prudence écologique et comme vecteur de l’idéologie néo-libérale
Selon le Britannique David Graddol (auteur de English Next) l’usage de l’anglais comme langue maternelle est supplanté par le mandarin bien sûr, mais aussi par l’espagnol, l’hindi-ourdou et, bientôt, l’arabe.  Si l’on tient compte de l’usage des langues secondes, nous avons dans l’ordre du nombre de locuteurs le mandarin, l’anglais, l’espagnol, l’hindi-ourdou, le français, le russe, l’arabe, le portugais, etc.
Il est vrai qu’une forme internationale d’anglais minimaliste, que Graddol nomme le «globish», prend une place importante en particulier dans le monde des affaires. C’est ce « globish » que nombre de Chinois utilisent s’ils transigent avec des Indonésiens, des Allemands ou des Brésiliens, mais pour combien de temps ?

Le progrès des outils de traduction automatique, des synthétiseurs de voix et des réseaux de communication instantanée sont très rapides. Les Japonais ont développé de petits appareils portables à peine plus grands qu’un Blackberry qui font de la traduction linguistique.  J’en ai rencontré dans des colloques qui les utilisent. (il y a aussi bien entendu des appareils moins sophistiqués de la taille d’une petite calculatrice, qui traduisent mots et expressions en plusieurs langues: pour moins de 10 dollars vous en avez qui traduisent en 6 langues: français, anglais, allemand, espagnol, italien, turque)

L’anglicisation dans le but d’adopter une même langue globale (anglobalisation) n’est pas un progrès, ni une solution à la complexité du monde. Au contraire, c’est une réduction de la diversité des manières de penser le monde.

S’il est important de préserver à des fins écologiques la diversité des espèces de plantes et des espèces animales (biodiversité : préserver la chaîne alimentaire, préserver des espèces qui contiennent des molécules rares, des principes actifs qui permettront de guérir telle ou telle maladie, etc.), il est au moins tout aussi important d’œuvrer à préserver la diversité culturelle et linguistique planétaire, de préserver des manières diverses de connaître et de penser le monde, de chercher des solutions aux problèmes contemporains, de créer des oeuvres de beauté.

Si écologiquement, il n’est pas prudent et souhaitable de mettre de l’avant un projet de « formater les esprits » dans une même langue minimaliste, si les technologies de l’information et l’internet n’imposent pas la domination d’une seule langue, qui a intérêt à nous présenter comme inéluctable et souhaitable l’anglobalisation?

-néo-libéralisme, libre-échangisme, anglobalisation et profitabilité accrue de « World Corporation »

Voici ce que Bernard Cassen répond à cette question :
« « « « Dans « Combat pour le français (Odile Jacob) », Claude Hagège cite l’écrivain britannique T. B. Macaulay, qui, en 1835, assignait à la colonisation de l’Inde la mission de former « une classe d’individus indiens de sang et de couleur, mais anglais par leurs goûts, leurs opinions, leurs valeurs et leur intellect ». Un peu moins de deux siècles plus tard, l’entreprise de colonisation des esprits des « élites » — qui disent aux peuples ce qu’ils doivent penser — est devenue planétaire. Elle sert moins les intérêts politiques du Royaume-Uni que ceux des Etats-Unis, en tant que promoteurs et premiers bénéficiaires de la mondialisation néolibérale. Mais elle a toujours comme principal vecteur la diffusion de l’anglo-américain. Hagège montre bien la « solidarité naturelle » qui, depuis Adam Smith et David Ricardo, « unit l’idéologie libre-échangiste et la langue anglaise ».

Ces « assises libérales communes » sont confortées par les actions volontaristes de la nébuleuse des décideurs politiques et économiques anglo-saxons qui, eux, ont parfaitement compris les avantages — en premier lieu le formatage des esprits sur leur « modèle » — et la rente financière qu’ils retirent de l’imposition d’une langue unique mondiale, la leur. » » » » » » » » »

Je pense qu’une langue n’est pas « une procédure de travail, ou un simple outil » que l’on doit sacrifier pour permettre à une multinationale d’afficher des profits trimestriels plus élevés et à des spéculateurs de faire des gains en bourse sur les titres de ces multinationales. Les coûts actuels de traduction ne sont pas négociables (de toutes façons d’ici 15 ans les traductions seront disponibles en 15 langues sur notre iPhone ou notre Blackberry, mais il faut préserver dès maintenant la diversité des manières de parler, de penser, de créer).

L’anglobalisation (le tous à l’anglais) c’est l’équivalent d’une déréglementation planétaire, d’une unidimentionnalisation, d’une réduction de la complexité. C’est l’adoption d’un modèle états-unien de développement par toute la planète.

À mon sens la catastrophe financière actuelle qui est partie du modèle états-unien de développement et de la financiarisation de l’économie qu’il met de l’avant est un bel exemple de courte vue, de réduction de la diversité culturelle au nom de l’idéologie du « laissez-faire » qui a mené à déréglementer, déréglementer…. les marchés

Sans règles, sans garde-fous… les marchés ont été la proie de la spéculation à court-terme…. et de ses spirales amplificatrices (qu’elles soient ascendantes ou descendantes)… Nous avons assisté à une implosion du marché financier étatsunien qui a provoqué des réactions en chaînes, des contagions incendiaires… allant jusqu’à dévaster, détruire (localement, régionalement) des économies réelles, des dizaines, voire des centaines d’entreprises (méga-banques, compagnies d’assurances,ex-grands de l’auto, etc…) aux USA, mais aussi un peu partout sur la planète.

(En ce sens la préservation de grands pôles culturels et linguistiques différents permet de fournir des « coupe-feu » ralentissant la propagation des « incendies », si on me permet la métaphore, des zones organisées-réglementées différemment.)

IV    -Une Francophonie forte et fière

comme institution écologique, culturelle et politique indispensable

Si le français comme deuxième ou troisième langue mondiale ne s’assume pas fièrement à la face du monde pour assurer une saine diversité indispensable, qui le fera? À mon sens préserver des pôles culturels vivants et créateurs c’est préserver la diversité. Les langues tchèques, ou innues, ou danoises ne peuvent supporter de pôles culturels aussi importants que le pôle francophone, en ce sens la France et les francophones ont une responsabilité de s’assumer. Des pôles linguistiques mondiaux, des aires d’influences doivent continuer de se développer. Le plurilinguisme à l’échelle planétaire est une condition sine qua non pour assurer la diversité, le respect interculturel et peut-être même l’humanisme.

Pour assurer une diversité culturelle sur la scène mondiale il faut assurer une diversité linguistique, de grands pôles linguistiques, car la langue est au coeur de ce creuset d’où émergent des penseurs, des conteurs, des philosophes, des gestionnaires, des ingénieurs, des artistes qui peuvent éclairer de manières différentes notre relation au monde (et peut-être apporter des solutions originales aux problèmes actuels, des inventions originales, des œuvres d’art originales).

Sur la question du plurilinguisme l’Europe a un rôle important à jouer. On espère que les États généraux du multilinguisme en Europe, qui se tiendra le 26 septembre 2008 sera à la hauteur des attentes.

http://ue2008.fr/PFUE/lang/fr/accueil/PFUE-09_2008/PFUE-26.09.2008/etats_generaux_du_multilinguisme_7216

Du côté de la francophonie, il faudra que la France ait à cœur de porter le français haut et fort sur la planète lors du prochain Sommet de la Francophonie qui se tiendra du 17 au 19 octobre 2008 ici à Québec, dans le cadre du 400e.

Il faudra aussi que le Québec continue de jouer son rôle dans le déploiement du plurilinguisme dans les institutions des Amériques afin d’assurer une présence forte des langues latines (français,espagnol, portugais) aux côtés de l’anglais.

-l’intercompréhension des langues latines

Il faudrait aussi que le Québec participe aux efforts qui sont réalisés par des universités d’une dizaine de pays utilisant des langues latines pour développer l’intercompréhension entre les langues latines (français, espagnol, portugais, italien, roumain et catalan). Depuis vingt ans déjà des recherches sont faites et dès 2010, des formations à l’intercompréhension des langues latines pourraient être mises en place.

Dans l’intercompréhension, l’effort se concentre sur la réception des langues étrangères (lire, écouter, comprendre) alors que la production de la langue étrangère est mise en veilleuse (parler, écrire).  Je parle ma langue et je comprends la leur.

Les avantages de l’intercompréhension sont que je conserve et utilise mes compétences linguistiques actuelles. Pour la langue étrangère, il y a rapidité d’apprentissage (quelques semaines suffisent pour s’intercomprendre à l’écrit). J’approfondis mes stratégies de lecture (langues latines: français, espagnol, portugais, italiens… ont les mêmes origines).

Quant on sait que plus d’une vingtaine des 35 pays des Amériques ont des langues latines comme langues officielles, ce projet d’intercompréhension ne peut être qu ‘important pour les Québécois. Dans les Amériques il y a plus d’hispanophones et de lusophones (580 millions) que d’anglophones (350 millions, dont 40 millions de latinos et 10 millions de francophones).

(http://www.galapro.eu/?page_id=12&language=FRA   et www.galanet.eu )

Il faut enfin que les Québécois fassent savoir à leur gouvernement en place, que le bilinguisme, ce n’est pas que le couple français-anglais, mais ce sont aussi les duos français-espagnol, français-arabe, français-roumain, français-portugais, etc..

Nous allons terminer en citant des extraits de la « Déclaration de Québec » que les participants au XIIe Congrès mondial de la Fédération internationale des professeurs de français ont adoptée. Ce congrès « Vivre les identités francophones » s’est tenu à Québec du 21 au 25 juillet 2008 :
–    la quête de l’identité francophone passe par une reconnaissance de la diversité à la fois linguistique et culturelle  (…)
–    le français n’est pas seulement une langue-culture mais aussi une langue-outil (langue de travail et langue de communication) en prise sur le marché du travail et les grands enjeux de la mondialisation
–    la francophonie institutionnelle, par ses politiques d’aménagement, constitue le pilier de la francophonie linguistique et culturelle. (…)
–    Les liens entre plurilinguisme et survivance du français, tant au niveau international qu’en Europe, ont été mis de l’avant afin de contrer un monolinguisme envahissant.      (…)
(Texte complet de la Déclaration de Québec    http://www.fipf-quebec2008.com/inscription

Comme le soulignait le conférencier béninois, la francophonie oeuvre pour protéger la diversité culturelle tout en offrant une langue de communication internationale.

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Quelques repères et références citées:

 

UNESCO (2008), « Douze années de mesure de la diversité linguistique sur l’internet : bilan et perspectives », Pimienta, Prado et Blanco.

«  Le français au Québec, 400 ans d’histoire et de vie » (éd. Fides, Montréal, 2008, Plourde, M., Georgeault, P.(dir)) qui nous a servi. Nous référons entre autres  aux textes de Michel Plourde, Christine Fréchette et Simon Langlois)

 » L’embarras des langues,   origine, conception et évolution de la politique linguistique québécoise  »  de Jean-Claude Corbeil, édition Québec Amérique, Montréal, 2007)

Pour une descrition de l’Organisation internationale de la francophonie voici l’hyperlien:

http://www.francophonie.org/oif/index.cfm

Pour le texte de la Convention sur la diversité culturelle de l’UNESCO voici l’hyperlien:

http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001429/142919f.pdf

Le présent billet a profité de notre essai sur la rencontre entre les cultures orales amérindiennes et les cultures européennes alphabétisées ( nous y abordons aussi les cultures de l’imagerie) en préparation depuis plusieurs années.