Québec: identité et américanisation

Québec et Amérique Latine

par Alain Lavallée

La mondialisation s’accélère. Les tentatives d’intégration en Amériques se multiplient (ALENA, UNASUR, MERCOSUR, etc. ). Le Québec est largement influencé par l’américanisation (Etats-Unis). Mais au-delà des 350 millions d’anglophones, il redécouvre l’Amérique latine et ses 600 millions de Latins. Le Québec a « tout avantage à développer ses liens avec l’Amérique latine ». (F. Lesemann)

Une identité entre américanisation et amérilatinité (?)

Mondialisation et intégration continentale semblent aller de pair. Comme s’ils étaient portés par des plaques tectoniques, de grands ensembles continentaux sont en processus de formation sur la planète. Mais l’intégration ne peut pas être seulement économique. Chaque produit, chaque service recèle une empreinte culturelle. Qui dit intégration dit ouverture à l’autre et identité culturelle en évolution.

Historiquement, les Québécois ont puisé leur identité de leur origine majoritairement française, puis par la suite des institutions britanniques puis anglo-canadiennes. L’intégration progressive dans le continent américain a induit une évolution graduelle des identités.

Au cours des dernières décennies, la réussite économique du Québec et l’influence culturelle du puissant voisin étatsunien ont profondément marqué l’identité québécoise. L’américanité des Québécois, leur manière de vivre en Amérique a été fortement teintée par l’américanisation, c’est-à-dire par l’adoption de valeurs, de produits culturels, voire d’un mode de vie de plus en plus étatsunien où la marchandisation est reine, et où l’adoption de la langue anglaise est présentée comme nécessaire, voire inéluctable

(ce qui est faux bien entendu, et au contraire les Québécois ont un devoir de saine prudence écologique et se doivent de faire briller l’essentielle diversité culturelle planétaire où la francophonie peut jouer un rôle primordial.

http://quebec.blog.lemonde.fr/2008/09/10/francophonie-et-preservation-de-la-diversite-culturelle-saine-prudence-ecologique-et-resistance-au-neo-liberalisme/

À compter de 1994, avec la signature du traité de l’ALENA, l’intégration économique continentale du Canada et des Etats-Unis s’est étendue au Mexique.

Depuis ce temps, le Canada a établi des traités bilatéraux de libre-échange avec cinq pays d’Amérique latine: le Chili en 1997, le Costa Rica en 2001, le Pérou et la Colombie en 2008 puis le Panama en 2010.

Parc Amérique latine Québec

Parc de l’Amérique latine à Québec  (photo Alain Lavallée, juin 2008)

D’autres négociations en vue de l’établissement de traités bilatéraux avec des pays d’Amérique latine sont en cours avec la République Dominicaine, le Groupe des quatre de l’Amérique centrale (Salvador, Guatemala, Honduras et Nicaragua) et avec le marché commun des Caraïbes (CARICOM).

Mais d’ores et déjà, les Québécois avaient redécouvert qu’au-delà des États-Unis existe un vaste continent latin. Depuis une trentaine d’années, des milliers, puis des  dizaines de milliers, puis centaines de milliers séjournent annuellement en Amérique latine. En 2007, les Québécois y ont effectué quelque 700 000 séjours de plus d’une semaine : Cuba, République Dominicaine et Mexique surtout, mais aussi Costa Rica, Vénézuela, etc. En retour, les Mexicains sont devenus le 4e groupe de touristes en importance au Québec. En 2008, plus de  51 500 Mexicains sont  entrés directement au Québec. (Depuis malheureusement le Gouvernement du Canada a imposé un visa aux touristes mexicains, ce qui a fait chuter le nombre de visiteurs).

Les médias rappellent quotidiennement aux Québécois, qu’ils vivent entourés d’une mer anglophone. Il y a environ 350 millions d’anglophones dans les Amériques (dont 40 millions d’hispanophones aux États-Unis et 10 millions de francophones). Mais peu à peu les Québécois redécouvrent qu’au-delà de cette mer anglophone, il y a près de 600 millions de  Latinos-américains (dont près de 400 millions parlent l’espagnol et les autres le portugais, deux langues latines, comme le français).  Français, espagnol, portugais sont des langues parentes.

 Amérique latine et Québec :

Mme Michelle Bachelet

qui était présidente du Chili, lors de son passage au Québec et au Canada en 2008 (à ce moment elle était aussi présidente de l’UNASUR) a plaidé pour un rapprochement entre le QUébec, le Canada et l’Amérique latine.

http://quebec.blog.lemonde.fr/2008/06/12/la-presidente-du-chili-au-%C2%AB-parc-de-l%E2%80%99amerique-latine-%C2%BB-400e-quebec/

« Latins du Sud », « Latins du Nord » (?)

D’une manière plus générale, les Latino-américains eux aussi découvrent les Québécois, ces « Latins du Nord » et leurs expressions culturelles, leur américanité particulière.

En novembre 2003, le Québec a été l’invité d’honneur de la Feria Internacional de Guadalajara (Mexique), la plus importante foire du livre de langue espagnole au monde.

Cervantino, Québec, Amérique latine

En octobre 2009, le plus important événement artistique d’Amérique latine, Festival internacional Cervantino, du Mexique (Guanajuato), a fait du Québec son invité d’honneur (Robert Lepage, Cirque Éloize, O Vertigo, Théâtre Sans Fil, Cinéma québécois et OSM étaient de la partie). La créativité de nos artistes les intéressent.

 

Dans le cadre de la Feria littéraire de Guadalajara, 300 livres québécois ont été traduits en espagnol. Cette Feria comptait aussi  un volet culturel et universitaire, des spectacles, colloques, échanges. À cette occasion, le chercheur Frédéric Lesemann, qui a été directeur du Groupe Interdisciplinaire  de Recherche sur les Amériques (GIRA) a explicité le concept d’amérilatinité. Il a soutenu cette idée que Latins du Nord (Québécois) et Latins du Sud (Latinos américains) avaient des intérêts mutuels à coopérer davantage, à se rapprocher et échanger

( « Le Québec et l’intégration continentale : de l’américanité à l’amérilatinité » Le Devoir, 21 avril, 2004).

ainsi que      https://www.ledevoir.com/societe/88211/sur-le-chemin-de-l-integration-de-l-americanite-a-l-amerilatinite

 

Amérique latine et Québec :

des relations historiques: missionnaires et coopération

Mais il y a longtemps déjà que des relations entre le Québec et l’Amérique latine se sont développées, principalement d’abord à travers les réseaux de missionnaires catholiques. Ils se sont principalement déployés entre 1930 et 1960 en Haïti, République Dominicaine, Cuba,  Brésil, puis au Chili,  Bolivie, Pérou, Colombie, et Honduras. En 1959, un Québécois sur 1120 était missionnaire. Il y en avait alors 3000 de par le monde, dont  1000 en Amérique latine. En 1971, il y avait presque 2000 missionnaires québécois en Amérique latine (Legrand, dans GLOBE, 2009).

En Amérique du Nord, les Québécois parce que catholiques et francophones dans un entourage majoritairement peuplé de protestants et d’anglophones ont vécu le statut de minoritaire. À travers cette expérience du minoritaire de culture latine, ils ont développé une « américanité » particulière, une manière de vivre ensemble et de se coordonner, marquée par un souci  d’entraide et  des pratiques d’économie sociale, de coopération, une américanité que nous pourrions associer au concept « d’améri-latinité (développé par Lesemann) ». Nombre d’entre eux avaient compris que ce n’est pas la « pauvreté, mais plutôt le manque d’organisation de communautés sur le terrain du développement économique, qui génère la dépendance par laquelle vient la pauvreté (Favreau, dans GLOBE, 2009, p. 23)».

Les religieux québécois, de culture minoritaire et latine ont mieux compris les situations d’inégalité que vivaient les Latino-Américains que leurs collègues missionnaires anglo-saxons. Certains de ces religieux épris de justice sociale et constatant la grande pauvreté de la majorité de la population d’Amérique latine et les écarts inégalitaires, ont entrepris de s’investir dans la lutte contre la pauvreté et de transmettre des pratiques québécoises d’organisation économiques (coopératives agricoles, mutualisme). Catherine Legrand  suggère que certains missionnaires québécois ont été liés à l’émergence d’une « théologie de la libération » dans certains pays d’ Amérique latine  (GLOBE, 2009).

Elle avance aussi qu’entre 1940 et 1970, les retours réguliers de ces très nombreux missionnaires québécois dans les paroisses du Québec afin de recueillir des fonds pour leurs missions, ainsi que leurs prêches, ont fait mûrir la pensée politique et sociale des Québécois et les ont ouverts sur le monde. D’une certaine manière, avant l’heure, ces réseaux de missionnariat jouaient un rôle de relations internationales.

Par la suite, ces réseaux de missionnariat, d’éducation et de coopération que le Québec avait mis en place ont servi de connections. Ils ont fait que le Québec a accueilli au cours des années soixante-dix de nombreux exilés politiques du Chili, de l’Argentine, du Brésil, d’Uruguay, d’Haïti que l’on retrouve aujourd’hui dans les services publics, l’Université, les professions libérales, etc. favorisant en retour au Québec une sensibilité à ces cultures latines d’Amérique.

Henri Bourassa, l’Union des Latins d’Amérique

et le Bloc populaire :

Mais parallèlement à ces réseaux missionnaires, il s’était développé au Québec (Canada français) un intérêt marqué pour l’Amérique latine entre 1920 et 1960.

En 1915, Henri Bourassa, fondateur du journal Le Devoir, plaidait pour de plus grandes relations entre le « Canada » français et l’Amérique latine. Pour Bourassa, ces relations auraient pu constituer un rempart contre tout regain de « fièvre impérialiste » des Etats-Unis.

Cet intérêt pour l’Amérique latine, a émergé dans les années 1930 autour de Mgr Olivier Maurault, recteur de l’Université de Montréal. Il s’est concrétisé, en 1940 alors qu’a été fondée une « Union des Latins d’Amérique » qui prônait un rapprochement des « Canadiens français » et des Latino Américains. Cinq ans après sa fondation, elle comptait quelques 2000 membres. Rapprochement fondé sur des raisons géographiques (nous sommes tous des Américains), des raisons culturelles (latinité), des raisons religieuses (catholicisme) et des raisons politiques.

La fondation de cette union culturelle des  Latins d’Amérique a été suivie quelques mois après de la fondation de l’Association Canada Inter-Amériques, puis en 1944, un chapitre de la Ligue Pan-Américaine s’est formé à Montréal (Maurault, 1946).

Mgr Olivier Maurault a d’ailleurs mené à l’été 1944 une délégation de 125 professeurs et étudiants de l’Université de Montréal  et de membres de l’Union des Latins d’Amérique, qui a séjourné durant deux mois au Mexique (milieux culturels, universitaires, etc.). Puis en 1946, il a parcouru en compagnie d’une dizaine de Canadiens français, un périple de plus de 2 mois qui l’a mené dans une dizaine de capitales d’Amérique du Sud et où il a prononcé quatre conférences prônant un rapprochement entre « Canadiens français-Latins du nord  » et « latins d’Amérique du Sud ».

Par exemple dans son discours à l’Université catholique de Santiago, Chili, il raconte qu’il s’est avancé «  » à prévoir la rivalité future du bloc anglo-saxon et du bloc latin dans les trois Amériques. Le bloc latin fut si chaudement applaudi que je jugeai plus prudent de na pas insister et de passer à un autre sujet » (Maurault, 1947, p. 88)

Daniel Jonhson qui deviendra par la suite Premier ministre du Québec sera un des membres fondateurs de l’« Union des Latins d’Amérique ». Il en sera aussi le conseiller juridique.

En 1944, dans sa plate-forme politique, un parti politique le  « Bloc Populaire » plaidait pour que les Canadiens français se rapprochent des Latinos Américains, parce que tous deux étaient menacés par « l’impérialisme yankee ».

Amérique latine et Québec:

un rapprochement toujours souhaitable: économiquement, socialement, culturellement

Les exportations du Québec vers l’Amérique latine et les Antilles ont augmenté de 17,6% par an  entre 2002 et 2008. Les exportations du Québec vers le Mexique sont presqu’aussi élevées que celles vers la Chine et pourtant Dieu sait que la Chine est idôlatrée. Le Mexique et le Brésil ont maintenant des PNB plus élevés que le PNB du Canada. De grandes entreprises québécoises comme Bombardier (Transport et Aéronautique) et Transcontinental ont des filiales au Mexique, alors que l’ancienne filiale d’impression de Québécor  a des filiales dans 6 pays d’Amérique latine.

L’économie des pays de l’Amérique latine se porte bien, ses perspectives de croissance sont meilleures que bien des régions de la planète. Le fait que le Canada soit en train de signer des traités de libre-échange avec une douzaine de pays d’Amérique latine, rend ce volet économique encore plus prometteur.

http://lapresseaffaires.cyberpresse.ca/opinions/chroniques/richard-dupaul/201007/12/01-4297444-la-decennie-latino.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_BO4_la_2343_accueil_POS4

Des réseaux de commerce équitable (café, cacao, artisanat, etc.) ont été établis entre le Québec et plusieurs pays d’Amérique latine.Les centrales syndicales du Québec, et des groupes de femmes du Québec ont établi des liens de coopération avec plusieurs organisations et pays d’Amérique latine.

Dans le cadre de la préparation de la Déclaration des droits des Peuples autochtones les peuples autochtones du Québec ont établi des liens avec des peuples autochtones de plusieurs pays d’Amérique latine.

L’immigration économique en provenance d’Amérique latine est devenue importante.

La coopération universitaire s’est développée entre les universités du Québec et celles du Mexique et du Brésil principalement.

L’Office Québec-Amériques pour la Jeunesse (OQAJ, créé en 2000) favorise les échanges et projets avec l’Amérique latine.

Dans les écoles secondaires, les cégeps et les associations de retraités (grands voyageurs) la demande pour l’apprentissage de l’espagnol est en forte hausse.

Tous ces éléments économiques, sociaux, culturels et institutionnels plaident pour un rapprochement entre le Québec et l’Amérique latine

Il est important que l’action internationale de la société québécoise et celle du Gouvernement du Québec soit concertée. Le Gouvernement du Québec est-il prêt à étendre le réseau de nos représentants en Amérique latine pour récolter les fruits de ces intérêts communs entre les Américano-latins que nous sommes et les Latino-américains?

Alain Lavallée

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NOTES pour approfondir:

Ce texte a fait l’objet d’une publication (version plus courte) en octobre 2009, dans le journal « Regard critique » de l’École des Hautes Études Internationales de l’Université Laval.

Voici quelques liens pour ceux qui voudraient approfondir certains éléments mentionnés dans ce texte:

-Modèle québécois et Amérique latine

[Tous les articles du numéro de GLOBE, revue internationale d’études québécoises (vol. 12, no. 1, 2009 –Coopération et missionnariat) retracent et éclairent l’action internationale d’une « vaste nébuleuse de réseaux » d’acteurs et d’institutions de la société québécoise au cours du siècle dernier.

Catherine Legrand, à laquelle j’ai référé dans le texte ci-dessus, Benoît Lévesque, Louis Favreau, Samy Mesli nous montrent comment s’est mise en forme au cours des décennies de la fin du XIXe  et du début XXe siècles, la matrice d’origine d’un modèle québécois de pratiques coopératives et mutualistes. Puis via les réseaux de communautés franco-américaines, les réseaux francophones et les réseaux catholiques, ils se sont déployés  ailleurs en Amérique, en particulier en Amérique latine (ainsi qu’en Afrique).]

-Union des Latins d’Amérique:

Les travaux de Maurice Demers, en particulier son article dans  Globe, revue internationale d’études québécoises (vol. 13, no. 1, 2010; « L’autre visage de l’américanité québécoise: L’union des Latins d’Amérique pendant la deuxième guerre mondiale« ).

Les textes du recteur de l’Université de Montréal, Mgr Olivier Maurault, en particulier:

« Esquisse de relations inter-américaines », dans International journal, vol. 1, no 4, 1946, p.317-323

texte qui est aussi publié dans son livre qui constitue son carnet de voyages en Amérique du Sud (10 capitales, en 1946)

«  »Par voies et par chemins de l’air: les Amériques« , Éditions des Dix, Montréal, 1947, 271 p.

– Parc de l’Amérique latine à Québec

Est-ce le seul Parc dédié à L’Amérique latine en dehors de l’Amérique
latine ?

http://quebec.blog.lemonde.fr/2008/06/12/la-presidente-du-chili-au-%C2%AB-parc-de-l%E2%80%99amerique-latine-%C2%BB-400e-quebec/

-4 juillet: Fête des Américains ou des
Étatsuniens ?

http://quebec.blog.lemonde.fr/2017/06/29/4-juillet-fete-des-americains-ou-des-etats-uniens/

-Amérilatinité:

Frédéric Lesemann, « Le Québec et l’intégration continentale : de l’américanité à l’amérilatinité » Le Devoir, 21 avril, 2004)

-Intercompréhension des langues latines

Des recherches menées  par le Conseil de l’Europe visant à préserver le plurilinguisme, ont montré qu’il est maintenant possible d’enseigner  les langues latines (français, espagnol, portugais et italien principalement)   de manière à ce qu’un francophone s’exprimant dans sa langue puisse être compris par un hispanophone  (ou un lusophone , un italophone ) et vice versa.  Ce projet appelé Gala portant sur l’intercompréhension des langues latines est maintenant opérationnel, il faut noter que l’OIF diffuse aussi un cours sur l’Intercompréhension des langues latines

https://www.youtube.com/watch?v=Gn5BvzHX2WA