– Fondation du Réseau des Villes francophones et francophiles d’Amérique, du 29 au 31 octobre 2015
Sous le leadership du maire Labeaume a eu lieu du 29 au 31 octobre 2015, la fondation du Réseau des Villes francophones et francophiles d’Amérique (RVFFA).
Ce projet de fondation d’un réseau de villes francophones, le maire Labeaume l’avait énoncé dans sa conférence du 24 novembre 2014, devant les membres de la Société des relations internationales de Québec. Celle-ci s’intitulait « Québec, capitale de la francophonie » où il affirmait « on va s’organiser entre nous », mais quel est ce « nous »?
Puisque ce serait un projet de réseau municipal, pourquoi ce projet de réseau supplémentaire ? Il y avait déjà des réseaux de municipalités francophones au Manitoba, en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Le Québec a son réseau de municipalités (UMQ). Le Canada a la Fédération canadienne des municipalités. Et le maire de Québec, Jean Pelletier a cofondé avec le maire de Paris, Jacques Chirac, en 1979 l’Association internationale des maires francophones qui est devenue depuis un des piliers de la Francophonie internationale (OIF). À moins que ce ne soit plutôt un projet culturel qui serait un concurrent du Congrès mondial acadien?
Pourquoi avoir choisi de fonder ce réseau, vingt ans jour pour jour après la grande frayeur causée au Canada par le référendum qui a vu 49,4 % de la population d’un État fédéré, le Québec, voter pour quitter la fédération canadienne? Le choix de cette date est-il symbolique?
La ville de Québec s’est repositionnée récemment comme étant l’Accent d’Amérique. Le maire Labeaume veut redéfinir Québec comme «capitale de la francophonie» mais de quelle francophonie? Québec, comme «capitale nationale» est déjà une capitale francophone. Est-ce un indicateur d’une volonté de faire passer Québec, de « capitale nationale » à « capitale d’une diaspora francophone canadienne ou nord-américaine » ?
Le « nous » d’une mythique Franco-Amérique ?
En mars 2008, le maire Labeaume a lancé à Boston le « Rendez-vous de la Franco-Amérique ». Il espérait accueillir, dans le cadre du 400e, 75 maires de villes états-uniennes. Maires qu’il avait invités parce qu’ils avaient « des liens significatifs avec la Franco-Amérique » (Le Soleil, 16 mai 2008, C. Vaillancourt, 75 maires américains se joindront à la fête)
Mais les 9 et 10 août, moins d’une dizaine de maires de villes états-uniennes étaient venus à ce Rendez-vous. Alors qu’il attendait les maires de Détroit, Chicago, New Orleans, voire Los Angeles, c’est plutôt le maire de North Miami (là où les snowbirds se posent pour fuir l’hiver) qui s’est présenté. Étant déjà sur place pour la fête de l’Acadie du 15 août, quelques maires de l’Acadie s’y étaient joints, soit au total 13 maires (Le Soleil, 11 août 2008, p. 4, N. Ross, Les maires fraternisent).
Le maire Labeaume a tiré leçon de cet échec. Il a mis quelques années à préparer son projet et en lancer la phase 2, soit la création d’un Réseau des villes francophones et francophiles d’Amérique. Il s’est rendu aux États-Unis (Washington, NY, Los Angeles, etc.) et a élargi son projet au Canada. Il a lancé ses invitations au Congrès mondial acadien en août 2014 où il a alors affirmé «Ça nous prend une masse critique de 150 communautés pour lancer le projet ». Il affirme alors que « C’est un projet économique avant tout ». Les buts étant de mousser le tourisme et de réunir la francophonie d’Amérique du Nord, il s’est adjoint l’appui des maires de Moncton (NB) et de Lafayette (Louisiane).
Pour fonder le RVFFA faut-il s’éloigner de la francophonie internationale ?
Au moment où il lance son Rendez-vous de la Franco-Amérique, à peine deux mois après son élection en décembre 2007, le maire Labeaume s’est posé comme critique de la Francophonie internationale (OIF). Celle-ci serait une institution « uniquement axée sur la culture ». Il l’a qualifiée d’institution « inerte », « somnolente », « qui ne se renouvelle pas ». Pour le maire Labeaume, la Francophonie devait se réorienter vers l’économie (Le Soleil, 5 mars 2008, J F Cliche, Un jab du maire Labeaume, p.2).
Étonnamment en novembre 2014, alors qu’il fait la promotion de son RVFFA, il se dit : « «déçu» et rendu «amer» par les villes européennes, qui envisagent souvent la francophonie sous le seul angle économique, le maire Labeaume préfère se tourner vers les communautés francophones des États-Unis».
Une semaine plus tard à Bruxelles, il déclare : « « la Francophonie doit «se réveiller» et revenir à l’essentiel: soit la francophonie linguistique et culturelle. Il n’a rien contre l’accent mis sur l’économie, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la langue française. » (Journal de Québec, 2 déc. 2014, M.White, Trop d’anglais en Europe, déplore Labeaume)
Les virages à 180 degrés du maire Labeaume
En 2008, le maire Labeaume a critiqué la Francophonie internationale, parce qu’elle serait uniquement culturelle. En 2014, voilà qu’elle serait préoccupée seulement par l’économie et pas assez par la culture et la langue. Si ce virage à 180 degrés a vraiment eu lieu, ce serait impressionnant pour une institution que le maire Labeaume dénonçât comme «inerte» et «ne se renouvelant pas».
En 2014, son projet de Réseau de villes (RVFFA) avait un « but économique » avant tout. Mais là encore, il a opéré un virage à 180 degrés. Moins d’un an plus tard, le RVFFA est maintenant devenu « culturel » et aurait maintenant pour but de « sauver la langue française » ! Le maire Labeaume lorsqu’il voyage en Europe pourfend l’usage des anglicismes, de retour au Québec… le franglais fait bien son affaire (autre virage à 180 degrés).
On ne peut être que sceptique devant de telles affirmations contradictoires. Ces virages à 180 degrés du maire au sujet de la Francophonie internationale en particulier sont peu crédibles. Comme l’a écrit Jean-Simon Gagné, du Soleil, le maire Labeaume compte sur la « bienveillance des médias ». On trouve amusant son « style de petit caporal », on vante son « franc-parler », ses « déclarations intempestives ». Malheureusement en diplomatie internationale un tel comportement pose problème (Le Bavard, 9 mars 2008).À tort ou à raison, ces virages à 180 degrés du maire Labeaume pourraient être interprétés à la lumière du vieux proverbe « quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage ».
Ses critiques contradictoires cachent mal un parti pris. Parti pris pour son projet de Franco-Amérique. En soi, cela ne fait pas problème, mais si le but n’est que de fonder une organisation de la Franco-Amérique, comment expliquer qu’il y aurait besoin de marquer ses distances avec la Francophonie internationale?
(Notons qu’en s’éloignant de la Francophonie, au-delà de son comportement peu diplomatique, il tourne le dos à ses prédécesseurs maires de Québec qui de Pelletier à L’Allier, ont été des piliers de l’Association internationale des maires francophones.)
RVFFA : Québec et le « nous » de la francophonie … canadienne ?
La fin de semaine du 29 au 31 octobre à Québec, encore une fois la Franco-Amérique a semblé susciter peu d’intérêt aux États-Unis. Seulement une cinquantaine de participants des États-Unis étaient inscrits sur 335, soit 16 %, sensiblement le même nombre de participants que le Nouveau-Brunswick. C’est la francophonie canadienne qui s’est inscrite (plus de 80 %, dont 34 % provenant du Québec). Quelques représentants des Antilles se sont ajoutés à la dernière minute.
Les inscriptions comptent des représentants municipaux, dont des maires et conseillers, des représentants de milieux associatifs et communautaires et d’organismes privés et publics (environ 80 municipalités sont représentées, en cliquant sur ce lien qui souligne vous aurez accès à la carte géographique qui présente leur provenance). En résumé, il y a eu des représentants de 65 villes du Canada (Nouveau-Brunswick, 26, Québec, 17, Ontario, 12, autres provinces, 10) mais seulement 9 des États-Unis et 2 des Antilles.
Oui, il y a un site internet qui mettra en valeur les attraits de villes ayant un passé francophone, et des circuits touristiques indiquant des «lieux francophones » c’est une bonne idée. Depuis nombre d’années déjà Québec se classe comme ville touristique phare en Amérique du Nord. Son rayonnement pourra contribuer à éclairer, à bénéficier à ce réseau qui sera mis en évidence. Mais en aucun cas cela ne nécessite un éloignement de la francophonie internationale, au contraire.
Somme toute , le RVFFA se présente comme un réseau touristico-culturel, un peu municipal, associatif, communautaire, institutionnel, un réseau informel. En fin de compte, ce réseau risque de n’être que l’une des innombrables tentatives de ressusciter la francophonie canadienne ou de la maintenir sur le respirateur artificiel.
Comme l’a déclaré Denis Desgagné, directeur du Centre de la francophonie des Amériques (CFA), le RVFFA «sera un réseau informel doté d’une organisation à définir (…car…) Dans bien des villes, la francophonie est minoritaire et on ne voudra pas emmener cette question au conseil municipal«»(Courrier de la Nouvelle-Écosse, 30 octobre 2015). Imaginez, on n’osera pas amener la question de l’usage du français au conseil municipal. Cela en dit plus que long sur la francophonie canadienne et son statut, à l’extérieur du Québec.
RVFFA : Québec, de « capitale nationale » du Québec à « capitale de la francophonie »… canadienne ?
Certains indices, symboliques et autres, montrent que le maire Labeaume met de l’avant (ou souhaite « re-brander » Québec, pour utiliser son franglais) comme capitale de la francophonie … canadienne, puisque les États-Unis n’ont pas vraiment répondu présent à ses deux invitations.
1-Le 20 mars dernier, journée de la Francophonie internationale, les 11 drapeaux de la francophonie canadienne ont été hissés devant l’hôtel de ville de Québec. Ils l’ont été jusqu’à cet événement de fondation du RVFFA la fin de semaine dernière.
2- Comme l’a précisé le maire Labeaume, le 50 000 $ fournit par la Ville de Québec pour la tenue de cette fin de semaine provient de « la fermeture du Bureau des relations internationales » qui « a dégagé les sommes nécessaires ». Tout ceci, très symboliquement comme si Québec devait se couper de ses relations internationales (avec la Francophonie entre autres) pour se consacrer (ou se refermer ?) sur le Nord de l’Amérique du Nord. (Notons que c’est le maire L’Allier qui avait mis sur pied ce bureau).
3- Les coûts de cet événement de fondation du RVFFA étaient estimés à 300 000 $, le principal soutien financier étant le gouvernement du Québec ( directement via le Ministère des Relations internationales, et le Ministère des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la francophonie canadienne, indirectement via le Centre de la Francophonie des Amériques).
4- Le maire l’a énoncé dans sa conférence du 24 novembre 2014, devant la Société des relations internationales de Québec : « Québec, capitale de la francophonie »… on va s’organiser entre « nous ». On connaît la définition de ce nouveau « nous » vers lequel le maire (et le gouvernement) souhaite orienter Québec.
5- Le gouvernement du Québec, du premier ministre Couillard a un ministre dédié à la «francophonie canadienne», Jean-Marc Fournier, («Ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie canadienne«). Suite à cet événement, dans une longue lettre aux médias (5 nov. 2015) ce dernier a invité les Québécois à un « retour dans la famille francophone canadienne », quitte à abandonner l’idée d’une nation et de son territoire national, et d’épouser, se fondre dans la francophonie canadienne. Une invitation à dissoudre la nation et la refermer sur le statu quo canadien.
Somme toute, le gouvernement Couillard et le maire de Québec en moussant ce nouveau statut « Québec, capitale de la francophonie canadienne ». Nouveau ? pas vraiment. Il s’agirait plutôt, d’un grand bond en arrière, à la période antérieure aux États généraux du Canada français qui se sont tenus de 1966 à 1969. Une invitation à une régression comme l’a écrit Michel David, dans Le Devoir.
6- Un indice plus qu’inquiétant de l’éloignement de Québec et du Québec de la Francophonie mondiale réside dans le fait qu’au même moment où se tenait la fondation du RVFFA à Québec, se déroulait à Paris, le Forum de la Francophonie économique, soit 1500 entrepreneurs, financiers, économistes, 4 chefs d’État et une douzaine de ministres, le Québec était absent de cette importante rencontre de réseautage international. ( Où est donc le Québec? JB Nadeau)
C’est donc en pleine connaissance que le gouvernement du Québec et Québec ont choisi la date, très symbolique, du 20e anniversaire de la courte victoire du Non, pour constituer le moment et le lieu d’une tentative de refonder l’imaginaire de Québec, de le faire régresser de « Québec, capitale d’une nation » qui aspire à rayonner sur la francophonie mondiale, à rayonner sur le monde, à « Québec, capitale de la francophonie canadienne ». Le vibrant plaidoyer du Ministre Fournier référant à la fondation du RVFFA ne laisse pas de doute. Finalement, la venue de la francophonie canadienne (plus de 80 % des personnes présentes), 20 ans après le référendum de 1995, a probablement ajouté un petit côté « Love in » à cette refondation… somme toute commémorative.
ÉPILOGUE:
La fondation du RVFFA au moment même où à Paris se tenait le Forum économique de la Francophonie internationale (où le Québec était absent) donne un autre indice du comment les forces fédéralistes oeuvrent maintenant à éloigner Québec et le Québec de ses relations francophones internationales. De fait, la fondation du RVFFA s’inscrit bien dans ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le «Plan B» des relations entre le Québec et le Canada. Plan développé dans la foulée du référendum de 1995 (qui a vu les citoyens du Québec, un état fédéré, voter à 49,4 % pour quitter la Fédération canadienne). Depuis ce temps les partisans et dirigeants fédéralistes travaillent à imposer la rigueur du statu quo canadien. Ils ont refusé tout changement constitutionnel (contrairement aux promesses faites suite aux référendums de 1980 et 1995).
Finalement, le 31 décembre 2020, le maire Labeaume a mis fin au réseau RVFFA. La ville de Québec ne finance plus ce réseau. Fini les grandes ambitions irréalistes. Ce réseau est dorénavant un simple projet du Centre de la francophonie des Amériques.