4 juillet : Fête des Américains ou des États-Uniens ?

«Make America Great Again»

Si on regarde la carte de l’historien et géographe allemand Conrad Mannert, datée de 1796, intitulée simplement AMERICA, celle-ci trace les contours de l’Amérique telle que connue en 1796. Sur cette carte de 1796, les États-Unis sont de couleur verte, et ne constitue qu’une petite partie de cette «AMERICA» ?

Pourtant aux États-Unis, les Présidents aiment bien nommer leur pays AMERICA, et désigner leurs concitoyens sous le vocable de Americans, comme si les États-Unis étaient l’Amérique, voire les Amériques, comme si la partie était le tout. Tant et si bien qu’avec le temps, un peu tout le monde en est venu à utiliser le qualificatif d’Américains, voire à le réserver aux seuls résidents des États-Unis.

Que s’est-il passé entre 1796 et aujourd’hui pour que nous en arrivions à cette imprécision, voire à cette confusion entre les États-Unis et l’Amérique, voire les Amériques, où la partie semble se prendre pour le tout?

« L’Amérique aux Américains » (doctrine Monroe, 1823)

C’est dans son discours du 2 décembre 1823 devant le Congrès des États-Unis que le président James Monroe, a clamé l’Amérique aux Américains. Ce message constituait une mise en garde lancée aux pays européens, en particulier la Grande-Bretagne, l’Espagne et la France de ne plus intervenir dans les affaires politiques des Amériques.

Cet avertissement est passé dans l’histoire sous le nom de Doctrine Monroe. Il constituait une reconnaissance des indépendances nouvellement arrachées à l’empire espagnol: le Venezuela en 1811, la Grande Colombie en 1819, le Mexique en 1821, le Pérou en 1821, l’Argentine et le Chili en 1823, etc.  L’appellation Américain désignait alors tous les peuples et nations des Amériques, que Monroe invitait à prendre leurs distances de leur métropole coloniale européenne (Espagne et Angleterre en particulier).

Toutefois, le message de la doctrine Monroe cachait mal les ambitions expansionnistes des États-Unis. En 1803, ils avaient racheté de la France la Grande Louisiane, qui couvrait alors plus d’une quinzaine d’États actuels des États-Unis. De plus, afin d’avoir accès au golfe du Mexique, les États-Unis venaient de conquérir la Floride (1819) suite à une guerre contre l’Espagne.

Dans les années 1840, les politiciens des États-Unis se surprirent à croire que le destin de leur pays était d’occuper tout le continent. Le président Polk clama que non seulement « les États-Unis ne peuvent laisser faire une intervention européenne sur ce continent […] mais [que] rien ne s’oppose à ce qu’une portion du territoire de ce continent s’unisse aux États-Unis».

L’avertissement de Monroe était déjà devenu Destinée manifeste, et prenait de plus en plus la forme d’une utopie (ou d’un rêve d’empire ? ) : celle de regrouper tous les territoires du continent américain, de l’Alaska jusqu’à Terre de Feu, sous la tutelle des États-Unis d’Amérique, mythiquement nommés «AMERICA».

Expansionnisme des États-Unis : vers l’ouest, le sud et le nord

Au sud, les États-Unis ont fait la guerre au Mexique et annexé le Texas en 1845. En cours de route, ils ont refoulé sans ménagement les peuples amérindiens, au besoin ils les ont écrasés. Les États-Unis se sont emparés de la Grande Californie mexicaine en 1848 (Californie, Arizona, Nevada, Utah, Nouveau-Mexique, etc.).

L'expansion des USA au 19e siècle

Au nord, ils ont menacé la Grande-Bretagne et réclamé les territoires britanniques situés au nord-ouest de l’Amérique. En 1846, la Grande-Bretagne a cédé aux États-Unis les territoires au sud du 49e parallèle (Oregon, État de Washington, etc.).

Entretemps Londres et l’Amérique du Nord Britannique (ANB:  soit Union des 2 Canadas, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse) ont signé un traité de libre-échange des ressources naturelles avec les États-Unis en 1854. Avec ce traité de Réciprocité, le commerce entre les États-Unis et l’ANB a connu alors une croissance importante, en particulier à cause de l’expansion rapide des chemins de fer et de la guerre de Sécession aux États-Unis. Cette guerre civile qui a éclaté entre les États du Nord et les États confédérés du Sud a profité économiquement aux marchands de l’ANB, qui ont exporté tant aux États du Nord qu’aux États du Sud. De plus Londres, en catimini, a soutenu les États confédérés du Sud. Tant et si bien que lorsque cette guerre civile s’est terminée en 1865, les États-Unis ont mis fin au traité de libre-échange l’année suivante. L’activité économique a chuté brutalement dans les colonies britanniques avec la fin du traité de réciprocité avec les États-Unis. 

De plus, les États du Nord, vainqueurs, étaient mécontents du Royaume-Uni et des colonies de l’ANB. (il y a même eu des discussions où les États-Unis ont réclamé du Royaume-Uni en guise de compensation des territoires de ses colonies d’Amérique, comme dédommagement). 

Dans ce contexte d’expansionisme , politiciens, marchands britanniques et canadiens ont de plus en plus mené des discussions visant à la formation d’une entité économique et politique qui regrouperait les colonies britanniques d’Amérique.  Les derniers détails de ce projet politique furent réglés à la Conférence de Londres qui eut lieu au début de décembre 1866.

Plus au nord, les cosaques russes s’étant implantés en Alaska, les politiciens des États-Unis ont craint qu’ils n’avancent plus loin en Amérique et ont négocié avec les Russes, l’achat du territoire de l’Alaska. Ils avaient aussi invité les territoires situés à l’ouest des Rocheuses, entre l’Alaska et les États-Unis, soit l’actuelle Colombie Britannique, à s’annexer aux États-Unis.

À la fin mars de 1867, les États-Unis ont acheté officiellement des Russes le territoire de l’Alaska. Au même moment, le projet d’une entité politique regroupant les colonies britanniques de l’Amérique, soit l’Acte d’Amérique du Nord Britannique (AANB) a reçu la Sanction Royale. Cela a donné lieu à la création du Dominion of Canada au moment où l’AANB est entrée en vigueur par proclamation royale, le 1er juillet 1867.

Création du Dominion of Canada : 1867

Aucun doute que la menace expansionniste étatsunienne a contribué  de maintes manières à ce que la Grande-Bretagne sente la soupe chaude pour ses colonies nord-américaines.

Le 1er juillet 1867, il y a eu changement de statut colonial : le Québec, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse ont constitué le Dominion of Canada. Les États-Unis ont peu à peu renoncé à annexer ces colonies anglaises puisqu’elles deviendront graduellement un pays américain. Pour des raisons économiques et politiques principalement l’Empire britannique se désengageait partiellement de l’Amérique ( mais les habitants du Dominion demeureront des sujets britanniques jusqu’en 1947, alors que sera créé un statut de citoyens canadiens).

La Colombie-Britannique s’est fait tirer l’oreille. Ce n’est que trois ans après la signature de l’AANB, en 1870, qu’elle se joindra au Dominion du Canada plutôt qu’aux États-Unis, après avoir obtenu la promesse du gouvernement fédéral canadien qu’un train se rendrait à Vancouver (National Policy). Le nouveau Dominion du Canada s’est révélé lui aussi expansionniste. Toutefois, l’adjonction de ces nouveaux territoires se fera au détriment des peuples autochtones de l’Ouest qui furent contraints, affamés, décimés par les politiques du gouvernement de John A. MacDonald.  («La destruction des Indiens des Plaines», James Daschuk, 2013)

Somos americanos, nous sommes Américains, we’re Americans.


Le qualificatif Européen peut référer autant à un Français, qu’à un Allemand ou un Italien. Le Parlement européen, l’Union européenne désignent des institutions qui concernent un grand nombre de pays du continent européen. Ce n’est pas le cas de l’usage actuel des expressions gouvernement américain ou dollar américain puisqu’elles ne désignent que le gouvernement des États-Unis ou la monnaie des États-Unis et non celle du Canada ou du Mexique, par exemple.

De la même manière, le terme Américain devrait servir à désigner aussi bien un Mexicain, un Canadien, un Argentin ou un citoyen des États-Unis. Ne serait-ce que parce que nous habitons et partageons ce continent des Amériques. Dans les dictionnaires de langue française, le nom Étatsunien et le qualificatif étatsunien sont présents depuis les années 1950, on note aussi quelques utilisations de ces termes dès 1910 en France.

En fin de compte, si tout Étatsunien est un Américain, tous les Américains ne sont pas pour autant des Étatsuniens. Québécois, Canadiens, Mexicains, Costa Ricains, Chiliens, Argentins, nous sommes Américains, mais pas États-Uniens.

Tout en reconnaissant que la culture étatsunienne et la langue anglo-américaine exercent une influence bien au-delà des États-Unis et de l’Amérique du Nord, il faut aussi reconnaître que l’AMERICA des dirigeants étatsuniens d’aujourd’hui, est peut-être davantage l’évocation passéiste d’un rêve d’Empire, de l’utopie d’un pays qui aurait dominé, conquis, ou autrement regroupé toutes les Amériques. Ce rêve ne s’est pas réalisé politiquement.

La diversité des nations s’est maintenue. La présidence Trump en particulier et son «Make America Great Again«,  où certaines formes de continentalisme commercial ou autre, ont été mises à mal, a bien fait ressortir l’importance des distinctions entre America et États-Unis, entre Américains et Étatsuniens.

1 juillet, 4 juillet… Fête d’Américains

Le 21 juin, le 24 juin, le 1er juillet et le 4 juillet des Américains sont fêtés. Cependant, le 21 juin, ils sont Autochtones; le 24 juin, ils sont Québécois; le 1er juillet, ils sont Canadiens; et le 4 juillet, ils sont Étatsuniens.   

El dia de los Americas, le jour des Amériques : le 12 octobre ?   

Quand pourrait avoir lieu une fête célébrant tous les Américains, tous les peuples des Amériques? Le 12 octobre 1492, Colomb touchait le continent américain. C’est pourquoi le 12 octobre est célébré sous diverses appellations dans plusieurs pays des Amériques comme jour où officiellement, peuples d’Europe et peuples des Amériques sont entrés en contact : aux États-Unis, c’est le Columbus Day ; aux Bahamas et en Colombie, c’est le Jour de la découverte ; au Costa Rica, le Dia de las Culturas ; au Vénézuéla, le Dia de la Resistencia Indigena, en Espagne, le Dia de la Hispanidad et dans divers pays d’Amérique latine, le Dia de la Raza (Jour de la race).

Au sujet de l’anniversaire du Canada, qui officiellement est le 1er juillet,  je vous invite à lire le billet :   

Quel âge a le Canada ?   150 ans ? 409 ans ? 70 ans ? 85 ans ? 483 ans ?