L’Alliance franco-amérindienne de Tadoussac (1603)

Depuis quelque temps il est de bon ton dans certains milieux de proclamer que telle ou telle partie du territoire québécois serait un « territoire non-cédé » par les Autochtones. Il faut plutôt préciser que les Québécois vivent aujourd’hui sur un territoire que leurs ancêtres ont été invités, par les peuples algonquiens (Innus-Algonquins-Etchemins ), à partager. Ce traité d’alliance s’est conclu en mai de 1603 lors d’une grande tabagie tenue à Tadoussac. Cet événement festif est un moment fondateur de la présence française en Terre d’Amérique .

Si aujourd’hui, on parle de « tabagie », c’est simplement parce que le mot « festin » en langue algonquine (anichinabée) se dit « tabaguia« . Quant on y ajoute l’imagerie que dans ce type de festin où sont conclues ou renouvelées des alliances il y a circulation de calumets de paix autochtones, on comprend pourquoi dans le langage courant le festin d’alliance est devenu tabagie.

J’ai préparé un court texte sur cette question. Le Devoir a publié le 22 janvier 2022 ce court texte sur son site internet . Voici le lien internet vers ce texte

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/663135/l-alliance-franco-amerindienne-de-tadoussac-un-mythe-fondateur

Voici le texte:

Bibliothèque et Archives Canada Aquarelle intitulée «Champlain en canot indien, 1603», réalisée par John Henry de Rinzy entre 1897 et 1930.

L’Alliance franco-amérindienne de Tadoussac, un mythe fondateur du Québec d’aujourd’hui

par Alain Lavallée

22 janvier 2022 Le Devoir section Idées

Quand on recherche les mythes fondateurs du Québec d’aujourd’hui, il est certain, comme l’écrit l’historien Gérard Bouchard que les patriotes représentent un tel moment (Le Devoir, 15 janvier 2022). Toutefois, ce serait s’amputer d’au moins deux siècles de notre existence en terre d’Amérique que de faire débuter cette recherche historique des mythes fondateurs à partir de la première moitié du XIXe siècle.

Il est important de rappeler, entre autres, que l’implantation des Français en terre d’Amérique s’est réalisée dans un esprit d’alliance avec les peuples amérindiens. Une expédition commandée par le navigateur François Gravé du Pont, à laquelle le cartographe Samuel de Champlain participait, est arrivée à Tadoussac à la fin de mai 1603 au moment où sur l’autre rive du Saguenay s’y tenait une grande tabagie (festivités) réunissant des peuples algonquiens qui célébraient une victoire contre leurs ennemis traditionnels, les Haudénosonés (Iroquois). Cette tabagie réunissait des Montagnais-Innus et leur chef Anadabijou, des Algonquins de l’Outaouais et leur chef Tessouat, ainsi que des Etchemins-Malécites. Les représentants de l’expédition française qui ont participé à ces festivités étaient porteurs d’une proposition royale d’alliance de la France. Cette proposition fut entérinée, et le grand chef Anadabijou a convié les Français à venir peupler leurs terres et à les aider à combattre leurs traditionnels ennemis iroquois (Haudénosonés ).

Ce pacte d’alliance diplomatique, tenu selon les coutumes amérindiennes en mai 1603 à Tadoussac, doit être considéré et commémoré comme un mythe fondateur de la Nouvelle-France, comme un moment, comme une réalisation d’une très grande importance qui s’inscrit dans l’histoire complexe qui a mené à la naissance du Québec d’aujourd’hui.

Sans cet événement fondateur, une colonisation française permanente n’aurait peut-être pas été possible ultérieurement. C’est ainsi que les Québécois d’aujourd’hui sont installés sur un territoire qu’ils ont été invités à partager dès 1603. Il ne s’agit pas d’un territoire conquis à l’origine par les armes ou d’un territoire que les Amérindiens ont été contraints de céder et de quitter au XVIIe siècle.

Alain Lavallée

++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++

Références historiques

De nombreux historiens ont écrit sur la grande tabagie de Tadoussac, qui s’est tenue du 27 mai 1603 au 9 juin, événement fondateur de l’Amérique française, qu’il s’agisse de Denys Delâge, Camil Girard, Marcel Trudel, Serge Bouchard, Olivia P. Dickason ou encore plus récemment Éric Bédard (colloque Institut de recherche sur le Québec,IRQ, 20 novembre 2021 ).

Un des textes qui nous est apparu le plus complet est celui de l’historien Alain Beaulieu :

-Alain Beaulieu, « La naissance de l’alliance franco-amérindienne », p.153-162, dans R. Litalien, D. Vaugeois, (dir.), Champlain, la naissance de l’Amérique française, Septentrion, 2004.

Quant à l’historien étatsunien David Hackett Fischer dans sa biographie magistrale sur Champlain, il écrit à propos de la grande Tabagie de Tadoussac .

Ce « fut un événement de la plus haute importance dans l’histoire de l’Amérique »

« La Grande Tabagie marqua le début d’une alliance entre les fondateurs de la Nouvelle-France et trois nations indiennes. L’adhésion était libre et chacun y trouva son profit. Les Indiens [Algonquiens] recrutaient un allié potentiel contre leur ennemi mortel, les Iroquois. Les Français trouvaient un appui pour leur établissement, l’exploration et le commerce. L’alliance formée ce jour-là allait durer longtemps car elle reposait sur l’intérêt matériel bien compris de chacun. » . (…) dans Le rêve de Champlain,  ed. Boréal, 2012

Informations pour la visite des lieux :

Tadoussac et Baie Sainte-Catherine aujourd’hui

Ces lieux existent réellement, ils se situent à l’embouchure du Saguenay. En 1603, la tabagie festive s’est déroulée sur la Pointe-aux-Alouettes, où étaient installés les Amérindiens ( Baie-Sainte-Catherine), alors que les Français étaient campés sur l’autre rive du Saguenay, soit à Tadoussac.

D’ailleurs le segment de la route 138 qui traverse Baie Sainte-Catherine aujourd’hui, se nomme Route de la Grande-Alliance et la municipalité de Baie Sainte-Catherine a fait de cette alliance fondatrice entre Français et Autochtones son emblème.

Emblème de la municipalité de Baie-Sainte-Catherine

Le lieu est reconnu patrimoine culturel du Québec, par le gouvernement du Québec et les Amérindiens.

Si vous passez par Baie-Sainte-Catherine (Charlevoix-Est), il y a une petite promenade piétonne de 5 kilomètres qui va de Baie Sainte-Catherine à Tadoussac ou plutôt jusqu’au quai de la traverse.

Conjointement avec la municipalité et le gouvernement du Québec, les communautés autochtones innues d’Essipit et Masteuiash ont participé à la préparation de ce sentier qui comprend des panneaux d’interprétation. C’est la première phase d’un projet commémoratif, plus élaboré.


texte et photos: Alain Lavallée