(Mme Ségolène Royal: accueil du Belem dans le Vieux-Port de Québec, 2 juillet 2008)
par Alain Lavallée
Québec a 400 ans: 3 juillet 2008
400 ans, Bonne fête Québec, bonne fête à nous tous qui avons participé à la construction d’une société et culture originale, majoritairement francophone en terre d’Amériques («Québec en Amériques»).
François Fillon et la France à Québec
Aujourd’hui, il y avait les cérémonies officielles à 11 heures au pied du monument de Champlain sous une pluie diluvienne. La délégation française était très importante, en qualité et en nombre. Outre le premier ministre français (François Fillon), deux de ses prédécesseurs (Jean-Pierre Raffarin, Alain Juppé), il y avait le Président de l’Assemblée nationale française, Bernard Accoyer, cinq présidents de région (les socialistes Ségolène Royal, Jean-Paul Huchon, Laurent Beauvais, Alain Rousset et l’UMP Adrien Zeller) ainsi qu’une soixantaine de députés ou élus locaux français, aux côtés des Premiers Ministres du Canada et du Québec, de la représentante de la Couronne, etc. Voici le beau texte du discours du Premier Ministre Fillo
Si la représentation diplomatique française est remarquable, celle des autres pays est minimaliste. L’Angleterre et les États-Unis se sont contentés de déléguer leur ambassadeur à Ottawa, la Belgique et l’Irlande, un ministre.
Cela n’est pas vraiment une surprise. Dès le Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Bucarest en septembre 2006, le Commissaire du Québec a invité et incité le gouvernement canadien à lancer des invitations internationales et solliciter des participations dans le cadre du 400e. Visiblement ce volet n’a pas été fait. Merci à la France d’avoir répondu présent, dommage que ce peu d’empressement du gouvernement fédéral à émettre des invitations ait restreint l’envergure internationale de l’événement.
Les célébrations
Pas de doute, la fête est lancée ici à Québec. À chaque soir, on a le choix entre une multitude d’activités et spectacles musicaux et autres, d’autant plus que le Festival d’été se met en marche, c’est un peu fou. Il ne faut pas oublier, le remarquable « Moulin à images» de Robert Lepage qui est projeté chaque soir à 22 h. (en voici quelques images qui rappelons-le sont projetées sur cette surface irrégulière de 30 mètres de haut par 600 mètres de large, que sont les silos à grain du Vieux-Port)
http://galeriedephotos.cyberpresse.ca/index.php?t=Black&a=4872&m=cp
Hier soir, Jean Claude Labrecque nous a présenté son film « Infiniment Québec » au magnifique Agora du Vieux-Port. Le cinéaste pose un regard tendre et amoureux sur la ville de son enfance. Il nous demande « Québec est-elle la plus belle ville du monde? ». Plus belle ville du monde? je ne sais pas, mais pas de doute Québec est une des plus belles villes d’Amérique du Nord, la plus originale. Elle a été amérindienne, puis française, puis britannique. Avec le vingtième siècle elle s’est étendue à la manière nord-américaine, mais tout en conservant et emmagasinant chacune de ces saveurs. Elle en a graduellement réaménagé les couleurs et les formes patrimoniales a inventé une manière particulière de les agencer. Elle avait des vues à couper le souffle sur le fleuve, aujourd’hui les Québécois ont accès au fleuve et se le réapproprie. Sa remarquable «Promenade de Champlain » quelle beauté, quel poumon, quel cadeau pour la qualité de vie… sa revitalisation de la rivière St-Charles… ses pistes cyclables qui la sillonnent, son patrimoine bâti que Labrecque nous fait redécouvrir…
Avec la Grande traversée, et tous les bateaux qui circulent ici cet été, le Belem en tête, mais aussi le Charente Maritime, le Notre-Dame des Flots, le Bluenose, le Mc Clure, etc., sans oublier la trentaine de formules 1 de la mer qui se pointent dans le Bassin Louise en préparation de la Transat Québec-St-Malo …. ce fleuve ma foi il ouvre sur le monde.
Il y a aussi le spectacle Rencontres devant le Parlement, où Yves Jacques incarne Champlain. La Société du 400e a mis beaucoup de temps mais elle a enfin compris qu’une culture ne pouvait fêter ses quatre siècles sans référer un tant soit peu à son histoire. Mais disons que dans Rencontres la référence à l’histoire est beaucoup plus artistique, voire «revisitée» que véridique.
D’ailleurs, le cinéaste Jean-Claude Labrecque qui dans son film « Infiniment Québec» nous fait découvrir un grand nombre de dessins et de documents d’archives prévoit participer ce matin à 11 heures à l’événement Commémoration Québec 1608-2008, au Parc de l’Amérique française. Ce collectif d’artistes et d’historiens veut commémorer le passé français et le caractère distinctif du Québec, et dénoncer le fait que ces thèmes n’aient «pas été exploités à leur juste valeur par les organisateurs officiels [du 400e]» (participation de Marie Tifo, Luck Mervil, Raymond Lévesque, Bizz, de Loco Locass, J.C. Labrecque) etc.).
(pour un compte-rendu écrit de ces 2 événements «Commémoration» et «Rencontres», cliquez sur:
http://www.cyberpresse.ca/article/20080704/CPOPINIONS05/807040639 )
En fin de journée les feux d’artifices du 3 juillet ont rassemblé plus de 250 000 personnes. Il y avait une mer infinie de personnes dans le Vieux-port et tout le long des rives du fleuve, à minuit après ce spectacle qui en a mis plein la vue, congestion incroyable, monstre qui a duré une couple d’heures. (voici un tout petit aperçu de cette foule sur la terrasse Dufferin)
http://multimedia.cyberpresse.ca/photosbulles/08feuxfleuve/08feuxfleuve.html
Le Belem à Québec (2 juillet 2008):
Hier, le Belem ce célèbre trois-mâts de 58 mètres de long est entré dans le port de Québec par une journée radieuse. Il avait quitté La Rochelle le 8 mai dernier, en même temps que la cinquantaine de voiliers de la Grande Traversée, sous les applaudissements de plus de 70 000 personnes. Arrivant le 2 juillet, soit la veille de la fondation de Québec, leur périple a commémoré le voyage de Champlain en 1608 et par-delà un «hommage aux aventuriers qui ont traversé l’océan contre vents et marées et défriché ce continent«.
Le Belem est un symbole précieux pour les Français. Un des derniers grands voiliers construit à Nantes en 1896, il est mainteant propriété d’une fondation fançaise en 1980 et sert à des fins culturelles, patrimoniales et diplomatiques. La délégation de représentants de France était relevée, l’ancien Premier Ministre Alain Juppé, la Présidente du Conseil de Poitou-Charente et récente candidate à la présidence de France, Ségolène Royal, etc. (notez aussi sur la photo la présence du Premier Ministre Charest, du maire Labeaume, du Consul de France à Québec, M. Alabrune et de la directrice des communications du 400e)
Les dignitaires québécois sont arrivés largement en retard. Officiellement, c’est parce que le Belem s’est présenté une heure et demie plus tôt que prévue (étonnant dans le monde actuel des télécommunications instantanées(?)). Alors, il a lentement navigué jusqu’au pont de Québec et est revenu toutes voiles sorties afin d’offrir un spectacle aux Québécois. Néanmoins, la cérémonie d’accueil n’était pas à la hauteur, minimaliste. Deux artistes tentant d’interpréter quelques chansons plutôt charmantes dans les circonstances, par exemple « Le plus beau voyage » de Claude Gauthier mais dont on n’a entendu que le premier couplet… le reste … blanc de mémoire. Une chanson de Vigneault tellement écorchée que l’artiste a senti le besoin de s’excuser. Heureusement ces artistes connaissaient « La mer » de Trenet, alors ils l’ont refait. Rien pour attirer ou retenir les gens, minimaliste.
La scène d’accueil semblait trop petite pour contenir le grand nombre de dignitaires français principalement. Tout ceci se déroulant à l’ombre d’une frégate militaire canadienne à 20 mètres de la scène.
Le Premier ministre Charest nous a produit un « perronisme» assez cocasse. Le Consul de France et Ségolène Royal avaient évoqué sous les applaudissements que le 2 juillet était une journée de bonnes nouvelles puisque la Franco-Colombienne Ingrid Betancourt avait été libérée après six ans de captivité. M. Charest a repris la nouvelle en évoquant « Ingrid Bécancour », on avait presque envie d’ajouter, « Mme Bécancour, une petite fille bien de chez-nous » (Bécancour est une ville québécoise sur le bord du fleuve en face des Trois-Rivières). Puisqu’on parle de bonnes nouvelles, une entente de principe est survenue au Journal de Québec. Quoiqu’on dise, les médias sont ceux qui rendent compte de la fête et la font exister dans les mémoires.
(les photos sont de Carole Lafond-Lavallée)
La Gouverneure générale n’était pas là. L’omniprésence de Michaelle Jean et d’Ottawa faisait l’affaire du Gouvernement actuel du Québec lorsqu’ils étaient reçus en France (quoique cela ait été largement décrié dans les médias et les milieux politiques ici), mais lorsque ces rencontres protocolaires se déroulent devant les Québécois c’est plus embêtant.
Ce que souligne longuement le quotidien le Devoir de ce matin, dans son article « Michaëlle Jean, écueil protocolaire entre Québec et Ottawa ». Il y a des « des tensions protocolaires, surtout au sujet de la place occupée par la gouverneure générale Michaëlle Jean, »« « « Un expert des questions de protocole a expliqué au Devoir que «ce n’est pas tant le fait [que Mme Jean] parle qui pose problème», mais le fait «qu’elle ait tendance à ne pas respecter sa fonction», qui devrait la contraindre, puisqu’elle n’a pas de légitimité démocratique, à «des propos de circonstance». Jamais Jeanne Sauvé [gouverneure générale de 1984 à 1990] — «qui avait été ministre, elle» — ne se serait permise de «réclamer une politique culturelle unique pour le Canada», illustre l’expert en faisant référence à une interview accordée par Mme Jean à un magazine canadien, révélée par Le Devoir plus tôt cette semaine » » » » (A. Robitaille, 3 juillet, 2008)
El Colectivo: l’américanité des Québécois, entre américanisation et amérilatinité, la recherche d’une voie originale
Revenons aux spectacles qui animent l’Espace 400e, en particulier au spectacle d’avant-hier d’El Colectivo qui témoigne à mon avis de la quête culturelle des Québécois.
D’origine française, puis devenus britanniques par la force des choses, les Québécois ont par la suite adopté un mode de vie de plus en plus américanisé. Avec les migrations saisonnières pour couper l’hiver, ils se sont ouverts sur les Amériques et les Antilles. El Colectivo est un exemple éloquent de cette évolution. Ce collectif d’une quinzaine de musiciens québécois parcourt les Amériques dans un vieil autobus jaune depuis maintenant huit ans. Ils ont produit un party d’enfer à la Grande place du 400e, avant hier. Tous membres ou ex-membres de groupes comme Overbass, Anonymus, Redcore et GrimSkunk qui faisaient du rock metal, hard core, alternatif… ce collectif déploie aujourd’hui surtout des rythmes latinos. Les Bouchard, Côté, Tremblay, Morin, Morin, Paris, Duplan, Calliari, Arroyo (qui se présente comme la Mexicaine du Saguenay), Perez, Blacky, Evil, etc., qui forme ce collectif explorent l’amérilatinité, après avoir expérimenté l’américanisation. Dans leurs pièces musicales, ils ont choisi la « fiesta », « Me gusta baila (j’aime danser)», ils saluent aussi le « Che » et dénoncent la militarisation « Presidente ». (ils passent de l’espagnol, au français, à l’anglais et inversement, voici leur video Even for free)
http://www.zephyrdvd.com/video/EvenForFree.html
Les Québécois, les Mexicains, les Costa Ricains sont tous des Américains, sans pour autant être États-Uniens. Nous sommes tous marqués par l’américanité, mais chaque nation développe de manière particulière cette américanité, selon ses racines et son histoire. Tout comme en Europe, les Français, les Italiens, les Anglais, les Néerlandais, les Espagnols sont des Européens, aucune nation ne s’approprie le nom d’un continent.
Comme je l’ai exposé dans le billet du 4 juillet ceux que nous nommons Américains sont des États-Uniens :
http://quebec.blog.lemonde.fr/2008/07/04/4-juillet-fete-des-americains-ou-des-etats-uniens/
Quant à la belle expression «amérilatinité» que j’utilise dans ce billet, elle provient des travaux de Frédéric Lesemann.
J’en présente longuement une description dans un billet plus récent où je décris comment l’identité québécoise qui tend à s’enfoncer dans l’américanisation aurait intérêt à se rapprocher de l’Amérique latine afin de vivre son amérilatinité.
http://quebec.blog.lemonde.fr/2010/06/22/quebec-identite-et-americanisation/