Grande Traversée: arrivée à Québec

34 équipages à bon port pour la Fête nationale du Québec

Le 24 juin sous un soleil enfin radieux, 34 des 38 équipages encore en route vers Québec sont entrés dans le port de Québec. Quelques milliers de Québécois les ont accueillis chaleureusement. Accueil sympathique, mais il faut bien l’avouer, un peu décevant si l’on compare au départ grandiose, presque magique de La Rochelle où des dizaines de milliers de personnes étaient présentes. Heureusement, une bonne trentaine de ces équipages avaient déjà pu apprécier depuis une dizaine de jours l’hospitalité des Québécois de Gaspé, Rivière-au-Renard, Rimouski, Cap-à-l’Aigle, Tadoussac-Grandes Bergeronnes qui les avaient accueillis en amis, en «cousins».

Chose étonnante ces voiliers de la Grande Traversée de l’Atlantique seraient la première flottille civile (non-militaire) à remonter le St-Laurent jusqu’à Québec depuis des siècles. Certains écrivent 250 ans, d’autres affirment que ce serait depuis Champlain. Si c’est vrai, il était plus que temps que le Québec et son grand fleuve puisse accueillir une telle flotille de l’amitié

(pour une série de photos de l’arrivée à Québec:

http://www.grandetraversee400.com/index.php?option=com_datsogallery&Itemid=112&func=viewcategory&catid=11

Génèse de la Grande Traversée

Un grand nombre de personnes et d’associations se sont investi dans la réussite de ce projet, dont l’idée a germé il y a quelques années. Elle a été lancée lors de l’ouverture des 20e Francofolies de La Rochelle en juillet 2004 par un dirigeant de l’Association Aunis-Québec. Puis les premiers contacts ont été menés à partir de mai 2005 entre les cercles nautiques de La Rochelle- Île de Ré – Aunis ainsi que la Fédération de voile du Québec. Par la suite, Henri-René Bain en particulier a entrepris de tisser les liens d’une organisation et gagner les appuis nécessaires. Soulignons aussi l’appui indéfectible des autorités de la ville de La Rochelle et du Conseil Régional de Poitou-Charentes (pour une explication plus détaillée de la génèse de cette aventure http://www.pichtou.com/article-17899813.html ).

Du côté québécois, il faut souligner l’apport, l’engagement d’André Huot, Président de la Fédération de voile du Québec qui a mis à contribution tous ses liens et amis du milieu de la voile, et reçu le support de la Société du 400e. Ne voulant pas être en reste, geste symbolique pour geste symbolique, amitié pour amitié, il y aura un « Retour aux Sources ». Le 6 juillet prochain, des équipages de plaisanciers québécois accompagnés d’une dizaine de voiliers de la Grande Traversée quitteront Québec en direction de La Rochelle. André Huot lui-même sera de l’aventure. Merci aux organisateurs, au Conseil de Poitou-Charente, aux équipages et aux Québécois qui ont participé à la réalisation de cet événement historique.

Nos amis français de la Grande Traversée vont laisser dans le Saint-Laurent des traces durables. L’arrivée de leur flottille de l’amitié a forcé la main du gouvernement du Québec et amené la Société du 400e à investir dans le nautisme. À Gaspé, entre autres, une couple de centaines de milliers de dollars ont été investis dans les infrastructures nautiques simplement pour vous accueillir. Je suis certain que les marins et plaisanciers de la Gaspésie vous en seront gré. Qui sait une navigation de plaisance au long cours va peut-être s’y développer.

La traversée de l’Atlantique nord, un défi mythique (?) :
Une majorité de ces marins plaisanciers en étaient à leur première traversée de l’Atlantique nord. J’ai demandé à quelques-uns d’entre eux si cette traversée de l’Atlantique n’était pas un peu un rêve, un défi mythique, une espèce d’équivalent du périple vers Saint-Jacques-de-Compostelle pour le marcheur. Certains ont acquiescé, mais d’autres m’ont fait remarquer que le degré de difficulté et les risques d’une traversée de l’Atlantique nord étaient plus grands: vents violents, pluies torrentielles, vagues de plusieurs mètres, brouillard, eau froide qui gèle les doigts ce qui ne facilite pas les manœuvres, avaries et risques de bris en tout genre… D’ailleurs dix des 48 équipages ont dû mettre fin à ce grand projet atlantique, neuf ont dû rebrousser chemin principalement pour des problèmes techniques. Un équipage a dû abandonner son voilier, un des marins est toujours hospitalisé à Halifax. (Nous leur souhaitons de retrouver le plus tôt possible la santé.)

Mais dans une telle aventure, il y a aussi des moments magiques, seul la nuit sous le ciel étoilé, l’espace infini d’une mer calme, la rencontre de dauphins, tortues de mer et autres espèces rares. Comme l’évoquait la navigatrice experte, Isabelle Autissier, responsable de la Commission sécurité de la Grande Traversée, il y a aussi ce sentiment profond lorsque la vue de cette terre du bout du monde se pointe à l’horizon (Gaspé, ou Gespeg en Micmac, signifie « là où la terre fini », en résumé, c’est le « finis terre » de l’Amérique du nord). « La première fois que j’ai fait la traversée jusqu’aux Antilles, je me suis sentie comme Christophe Colomb quand je suis arrivée à destination. Et là, je crois que les participants se sentiront comme Jacques Cartier et Samuel de Champlain lorsqu’ils arriveront à Québec. On a l’impression de suivre les traces de ces grands navigateurs qui sont passés au même endroit il y a des centaines d’années. C’est très fort, très beau » (Le Soleil, 5 octobre 2007)

D’ailleurs la lecture des « brèves de mer » confirme bien à la fois ces dificultés et ces moments de grâce et de réflexion.(disponible sur     http://www.grandetraversee400.com/index.php?option=com_content&task=blogcategory&id=30&Itemid=107 )

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Le panthéon des « Pères fondateurs »
Un autre apport indirect de cette grande traversée a été de rappeler aux Québécois que le Panthéon des « Pères fondateurs (et mères fondatrices) » de la Nouvelle-France et du Québec était plus vaste que celui que nous avions l’habitude de célébrer. Symboliquement, le 24 juin, jour de la Fête nationale du Québec, avec 400 ans de retard, c’est Pierre Dugua de Mons, en habit d’apparat, qui a été le premier à saluer les milliers de Québécois présents dans le port. Pierre Dugua de Mons avait financé l’équipée de Samuel Champlain vers Québec en 1608, mais n’avait jamais pu y venir. Et bien voilà, c’est fait. Le rôle de Dugua de Mons a été souligné, mais c’est la ténacité de son Père fondateur Samuel Champlain à soutenir cette colonie contre vents et marées de 1608 à 1635 qui a fini par en assurer la pérennité.

Pourquoi parle-t-on de « pères fondateurs » en terre d’Amériques? Contrairement aux autres nations des Amériques, le Québec et le Canada n’ont pas de grands « héros libérateurs », un Simon Bolivar vénézuélien-colombien, un George Washington états-unien, un Bernardo O’Higgins Riquelme chilien (voir notre billet du 12 juin). Ils ont des « pères fondateurs». Pour la Nouvelle-France, qui englobe le Québec contemporain, c’est Champlain, pour le Canada, ce sont les « Pères de la Confédération » de 1867 (John A. MacDonald, etc.).

Depuis quelques années, les travaux historiques ont ramené au devant de la scène et aux côtés de Samuel Champlain, un panthéon « enrichi » des acteurs ayant joué un rôle dans la fondation de la Nouvelle-France.  La Grande Traversée nous a rappelé l’existence de Pierre Dugua de MonsFrançois Du Pont Gravé a aussi été un pilier de fondation de la colonie française de Québec (comme il a été souligné au 133è congrès du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, qui pour la première fois de son histoire s’est tenu hors de France, à Québec en mai à l’honneur du 400e). L’historien Denis Vaugeois a qualifié Du Pont Gravé de « mentor » de Champlain. Bien entendu, Henri IV, ce Roi de France qui a appuyé, encouragé les ambassades et projets coloniaux de Du Pont Gravé, Dugas de Mons et Champlain a joué un rôle important dans la fondation de cette colonie. Et surtout, cette fois, il ne faut pas oublier les Amérindiens, qui dès mai et juin 1603 ont accueilli l’ambassade française de Du Pont Gravé et proposé des alliances aux Français : les Montagnais-Innu et leur chef Anadabijou, les Algonquins et leur chef Tessouat, ainsi que les Etchemins-Malécites (voir nos billets du 24 mai et du 1 mai sur cette question).

Flottille de l’amitié : des voiliers porteurs de tonnelets provenant des « communes » de France vers les familles souches du Québec :

3500 milles et une quarantaine de jours après le départ de La Rochelle, l’historique aventure de ces amants de la mer commémore non seulement ce périple vers Québec que Samuel Champlain a fait en 1608. Cette Grande Traversée visait surtout à commémorer le passage de la France vers l’Amérique du Nord que 80% des ancêtres des Québécois d’aujourd’hui ont fait à la voile, eux aussi, il y a quelques siècles : les Tremblay, les Gagnon, les Roy, les Boucher, les Simard, les Parenteau, les Beaudet, les Blais, les Morin, les Gauthier, les Lafond, les Caron, les Couillard, etc.

Chacun de ces voiliers était porteur d’un tonnelet « remplis de messages d’amitié, de cadeaux et d’objets significatifs représentant le lien entre la France et le Québec ». Une quarantaine de  tonnelets avaient ainsi été préparés par des communes de France principalement de la région Poitou-Charentes dont les descendants ont fait souche ici au Québec.

Par exemple, le capitaine Jean-Claude Pourajaud à bord du voilier Histoire d’Ève (voilier no 9) était porteur du tonnelet préparé par la commune de Puymoyen et destiné à la famille Simard. D’autres capitaines étaient porteurs de ces tonnelets de l’amitié et du souvenir: l’Association des familles Parenteau devait recevoir le tonnelet provenant de la Commune de Bazauges, l’Association des familles Beaudet devait recevoir le tonnelet provenant de la Commune de Blanzay et l’Association des Blais d’Amérique celui de la Commune de Sers, et ainsi de suite. En principe, ces associations devaient être conviées à une cérémonie officielle (qui aurait pu se produire dès le 23 juin si les plans originaux avaient été suivis) reportée au 25 juin  et organisée par les fêtes du 400e et la Ville de Québec afin de confirmer la réussite des plaisanciers français et de remettre les tonnelets aux associations de familles respectives et autres organismes.

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La cérémonie du 25 juin au salon VIP de l’Espace 400e :
Démission du ministre Couillard, le responsable du 400e au sein du gouvernement
québécois

Le lendemain de l’arrivée, à 11 heures, il y a bien eu remise des « diplômes » aux capitaines des valeureux équipages ayant effectué la Grande Traversée de l’Atlantique. Mais il s’avère que le volet de remise des tonnelets aux familles et associations a été réduit à sa plus simple expression (réduit à une photo d’une quinzaine de capitaines avec leur barillet), escamoté,  on ne sait trop.

À cet effet, la journaliste Marie Josée Nantel écrit dans le Soleil du 26 juin 2008: « les plaisanciers ont reçu de la Ville de Québec et de la Société du 400e un diplôme pour commémorer cette traversée symbolique. Ils ont profité de la cérémonie à l’Espace 400e pour remettre 40 tonnelets rapportés du Poitou-Charentes. Les tonnelets contenaient des messages d’amitié des communes de cette région et des objets typiques de chez eux, comme de la poterie. Des organisations communautaires, culturelles et municipales du Québec ont accepté ces souvenirs au nom des Québécois. »

Le matin du 25 juin, deux heures avant cette réunion privée, le Ministre Couillard, ministre de la Capitale nationale et responsable du 400e au sein du gouvernement du Québec avait annoncé sa démission comme ministre du gouvernement du Québec et comme député de Québec (circonscription de Jean Talon).

Et pourtant il y avait beaucoup de monde important à cet événement VIP. Il y avait bien entendu les capitaines de la trentaine de voiliers mais aussi beaucoup de représentants du monde politique.

Du côté du Québec, il n’y avait que le maire de Québec, Régis Labeaume. Il n’y avait aucun représentant du gouvernement du Québec.

Du côté français, il y avait entre autres Lionel Jospin, Premier ministre de France 1997-2002 et ex-candidat à la Présidence, il y avait aussi le vice-président du Conseil Régional de Poitou-Charentes, le député-maire de La Rochelle, Maxime Bono, et plusieurs autres représentants politiques français. Mais tout le protocole s’est déroulé avec la participation du maire de Québec et le maire-député de La Rochelle, M. Maxime Bono. Le Premier Ministre Jospin était simple spectateur, il était tout juste devant moi et c’est à peine si on a souligné qu’il était dans la salle (voir photo où il est en discussion avec un conseiller municipal de Québec).

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(Pourquoi le Premier ministre Jospin était présent? Il y a plusieurs raisons, je n’en mentionnerai que quatre: 1- il était un participant actif de cet événement puisqu’il a fait le parcours de Gaspé à Québec à bord d’un voilier de la Grande Traversée avec son ami, M. Fountaine, qui est vice-président du Conseil régional de Poitou-Charente. 2-cela démontre l’intérêt de la France pour ces Fêtes du 400e et les Québécois l’en remercient, même si le protocole n’est pas toujours à la hauteur; 3- quatre Premiers ministres français sont présents à Québec ces jours-ci. Outre M. Jospin, son prédécesseur et son successeur au poste de premier ministre de France, M. Alain Juppé, et M. Jean-Pierre Raffarin sont aussi présents, sans oublier le Premier ministre actuel M. François Fillon qui arrivera le 2 juillet; 4- le Premier ministre Jospin est protestant, et une cérémonie a eu lieu le 26 juin autour du monument de Pierre Dugua de Mons, un protestant (huguenot), un peu oublié qui a joué un rôle dans la fondation de ce Québec qui est devenu capitale de la Nouvelle-France, sans oublier ce clin d’oeil de la Grande Traversée qui nous a présenté Pierre Dugua de Mons et son voilier comme étant le premier arrivé à Québec.)

Visiblement l’organisation du 400e souhaitait éviter de répéter l’imbroglio protocolaire du 8 mai à La Rochelle, qui a été décrié dans les médias du Québec. La Gouverneure générale du Canada et représentante de la Couronne avait pris toute la place et le Québec avait été absent des cérémonies protocolaires (avec le plein accord du Premier ministre Charest, mais accord largement décrié dans la presse et les milieux politiques québécois: entre autres, le chef de l’opposition officielle, Mario Dumont, a dit que le Premier ministre du Québec se comportait comme un « cocu content »). Signalons en particulier que M. Couillard, Ministre de la Capitale nationale, représentant du gouvernement du Québec avait alors été exclu des cérémonies protocolaires. Il avait quitté la cérémonie protocolaire du 8 mai et ne s’était pas présenté au brunch officiel du lendemain.

Au salon VIP de l’Espace du 400e, le 25 juin, le Ministre de la Capitale nationale, M. Couillard a décidé de s’exclure si l’on peut s’exprimer ainsi. Il avait démissionné de toutes ses fonctions politiques au sein du gouvernement du Québec deux heures plus tôt. Il invoque qu’il avait choisi de prendre sa retraite de la vie politique pour la journée de son anniversaire de naissance qui avait lieu le lendemain jeudi le 26 juin.

La représentante de la Couronne n’y était pas. Les autorités du 400e ont voulu en faire une cérémonie de « ville » à « ville », très discrète, presque secrète. Le maire Labeaume et le député-maire Bono de La Rochelle ont remis les « diplômes » aux capitaines. Les tonnelets remplis de messages et d’objets significatifs préparés par les communes-racines de France et destinées aux familles souches du Québec et à d’autres organisations ont été acheminés discrètement sans cérémonie particulière, ou le seront éventuellement.

D’une certaine manière, avec cette cérémonie du 25 juin au Salon VIP de l’Espace 400e, encore une fois, les autorités ont exclu la dimension « nationale » de la Capitale qu’est Québec. Ils s’évertuent à présenter Québec comme une simple ville. Pourtant le Conseil régional de Poitou-Charente et la France, en visant à rejoindre par ces tonnelets de « l’amitié et du souvenir » les familles souche du Québec, touchaient directement cette dimension nationale identitaire que des autorités gouvernementales refusent à la Société du 400e.

Le discours du ministre de la Capitale nationale, M. Couillard la veille lors de l’accueil du 24 juin avait d’ailleurs fait ressortir cette dimension nationale et identitaire du 400e (nous reviendrons sur ce dernier discours du ministre et sur sa décision de quitter immédiatement la vie politique en relations avec le 400e: billet « Démission du ministre Couillard et 400e », 13 juillet, le billet du 3 juillet « Bonne fête Québec » aborde aussi ces questions).

À la fin de cette cérémonie du 25 juin à 11 h., le Capitaine Philippe Rey, du Traidunion (voilier no 41) a été invité à s’adresser aux gens présents. Il a terminé son message par cette petite phrase destinée aux personnes présentes et en particulier à ses amis marins et plaisanciers de la Grande Traversée … « Gardez vos idéaux, vos cœurs jeunes et vos rêves inachevés ».

Merci au Conseil régional de Poitou Charente ainsi qu’aux communes de France pour tous ces efforts pour se rappeller à notre souvenir. La devise du Québec est « je me souviens », mais celle du Canada est « ad mare usque ad mare ». Ce n’est pas toujours facile de se souvenir, lorsque les maîtres du jeu qui organisent les événements du 400e ne souhaite pas que les Québécois se souviennent et craint que leur fibre identitaire ne soit touchée, émue. Imaginez si tous les descendants des familles pionnières avaient été conviées sur les quais du port de Québec pour l’arrivée de la Grande Traversée, et qu’il y ait eu remise solennelle de tous ces tonnelets de l’amitié et du souvenir en plein coeur de la fête nationale, comme le souhaitait le ministre de la Capitale nationale.

Il semble bien que le magnifique projet que les régions de France avait élaboré ne cadrait pas avec la politique canadienne de commémoration uniforme (PCCA) qui prône le multiculturalisme au Canada (tous des immigrants/immigrants, tous des passagers/passengers, pas de peuples fondateurs, rejet d’un fédéralisme multinational où il y a des peuples fondateurs, dont les Autochtones)… Le Ministre responsable de la Capitale nationale et du 400e a démissionné ce même jour… curieux hasard.

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